Dans cette adresse ouverte en septembre 2023 à Paris, chacun paie selon ses revenus. Les repas sont gratuits pour les bénéficiaires de l’aide alimentaire.
Émilie Salabelle
Publié le 20 janv. 23 à 18:29
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Une adresse bien cachée
mis à jour le 20 janv. 23 à 18:31
Menu à la carte. À la Cantine des arbores, chacun paie selon ses moyens. Dans ce restaurant solidaire du 14e arrondissement de Paris, ouvert tous les midis depuis septembre 2022, une délicieuse cuisine, à dominante ouest-africaine, est préparée par des réfugiés.
De 0 à 11 euros, des tarifs adaptés
« Renouvellement du corps et de l’âme » est le mantra de Cantina Bush, caché derrière la façade grise d’un immeuble discret, dans cette rue calme et résidentielle. Il faut pousser la porte pour découvrir une ambiance simple, accueillante et colorée. Il est 14h00. L’arôme subtil des légumes mijotés et du poulet juteux couvre les conversations. Quelques clients terminent ce qui semble être un repas copieux.
“Aujourd’hui nous avons découvert l’adresse, c’était délicieux ! », la juge, ravie, Charlotte, habituée des restaurants solidaires avec son ami Gaston. Yassa Chicken et Pecan Pie pour lui, Mafé Végétarien et Mousse au Chocolat pour elle. Deux étudiants en statistique ont payé 13 euros chacun, « plein tarif ».
« Tout le monde mange la même chose ici, mais à un prix différent », explique Laure Duteurtre, la responsable du lieu. Sous l’impulsion de l’association Refugee Food, qui s’est donné pour mission de favoriser l’intégration des réfugiés par la restauration, la Cantina remplit une double mission : changer le regard sur les réfugiés en les accompagnant dans leur démarche d’intégration, et offrir une cuisine savoureuse et de qualité pour tous les publics, y compris les plus vulnérables.
Soigner les assiettes, « une question de respect »
Sur les 70 bars, 70 % sont des repas solidaires, et les 30 % restants sont occupés par le grand public. « Nous voulons ce mélange. Nous avons créé une carte de fidélité valable 6 mois. Il suffit de remplir un formulaire qui donne accès à la gratuité ou à moitié prix », explique Laure Dutertre.
50 repas gratuits sont disponibles chaque jour spécialement pour les bénéficiaires de l’aide alimentaire : boursiers, personnes du RSA, migrants etc.
Cuisiner, « le moyen le plus rapide pour s’intégrer »
Ici, la forme compte autant que le fond. « On n’est pas du tout dans les mauvais clichés », tient à préciser Laure Dutreutre. « Quand les gens poussent la porte, ils ont besoin de trouver de la quantité, de la qualité et un beau visuel », abonde Harouna Sow, chef entraîneur. « C’est une question de respect pour les gens qui sont dans le besoin. Je veux pouvoir proposer des plats de la même qualité que lorsque je cuisine pour ma famille. »
Originaire de Mauritanie, Harouna est aussi un réfugié. Sur le chemin de l’exil, il connaît des repas mondains tristes et ennuyeux, en contraste cruel avec les belles assiettes que l’on aperçoit subrepticement de l’autre côté de la vitre des restaurants parisiens. « Lors de la présentation, vous pouvez immédiatement voir à quel point nous y mettons du cœur », dit-il.
Il obtient l’asile en 2014 et découvre, d’abord timidement, la cuisine française. « Blackjack de veau, je n’étais pas vraiment ouvert à ça ! il plaisante. « Mais il n’y a rien de mieux que de visiter les marchés et les bistrots pour découvrir la France. »
En 2018, il croise la route de l’association Refugee Food. Il devient formateur en chef à Ground Control, le troisième lieu où les personnes admises à l’asile en France sont accueillies et formées à l’hôtellerie.
Harouna ne se lasse pas de vanter les vertus de la gastronomie : « L’ascenseur social est là. J’ai trouvé ma place dans la société française grâce à la cuisine. Cela m’a permis de me réapproprier mes origines dans un pays ouvert à la culture culinaire. »
Nous n’avons pas à parler la même langue en cuisine, nous avons des ustensiles communs. C’est le moyen le plus rapide de s’intégrer.
Des croque-monsieurs au fer à repasser
À la Cantine des arbores, la brigade compte six salariés en insertion. La carte, conçue par l’équipe, propose six repas par semaine. « Chacun peut proposer une spécialité de son pays. »
Refugee Food propose des formations de six mois au métier de commis de cuisine. Elle accompagne chaque réfugié dans ses démarches jusqu’à ce qu’il trouve un emploi : aide administrative, cours de français, techniques appliquées en cuisine française, réalisation d’un projet professionnel…
Fin du service du midi. Une autre activité prend le relais de l’autre côté du comptoir : l’aide à la nourriture. 500 à 800 repas sont préparés quotidiennement et versés dans des barquettes en aluminium.
Le mercredi après-midi, le restaurant se transforme en atelier pour les habitants des hôtels communautaires. « A chaque fois, le chef donne des conseils pour préparer un bon repas avec un minimum de matériel : une bouilloire et un micro-onde », explique Laure Duteurtre.