GALERIE DE PORTRAIT – Pionnières d’expériences, créatrices d’émotions, ambassadrices du goût, ces figures venues d’ailleurs, proches ou lointaines, partagent avec nous les richesses qu’elles ont récoltées au cours de leurs pérégrinations.
Sommaire
Valentine Cinier, le guide à suivre
Heureux comme les Parisiens au Pays Basque. Valentine Cinier, journaliste mondiale, ancienne rédactrice en chef du magazine Paulette, est tombée amoureuse il y a quelques années de cette petite Californie du sud-ouest et s’y est installée en 2018. Elle a découvert une région d’énergie fertile, terreau fertile pour les chefs et les créateurs, jusqu’à ce que Le Covid et le confinement ont interrompu la musique. Mais l’assignation à résidence est le meilleur terreau pour mobiliser les énergies, aiguiser les bonnes idées, taquiner les audacieux. C’est le moment idéal pour ce digger professionnel d’écrire ses adresses confidentielles sur papier pour en faire un guide sans égal, noble dans le fond, magnifiquement ciselé dans la forme, baptisé PAPER. Car Valentine n’est pas motivée par la quantité mais par la qualité et est liée par des principes non négociables (pas de subventions, pas d’annonceurs) qui garantissent sa liberté.
Les lieux qu’elle visite et les personnes qu’elle rencontre, en personne et après un patient repérage, ont toutes de hautes valeurs d’authenticité, de sobriété, de durabilité, de partage et d’excellent savoir-faire. En un mot : engagement. Le premier guide PAPIER du Pays basque cartonne et pousse le territoire à créer sa propre maison d’édition, dès 2020, pour éditer les guides Bretagne puis Provence. Très vite, les concept stores, les librairies indépendantes et… les commerces de bouche de toute la France se sont emparés de ces « anti-guides touristiques », comme elle le dit, car « pas fait pour les gens de passage qui cherchent une table dans l’urgence, mais pour des gens curieux, respectueux, sensibles à la passion, aux lieux intelligents et intimistes, aux métiers oubliés, aux coins perdus et autres joyeuses errances ». En attendant les Landes, prévu pour le printemps 2023, vous pourrez retrouver ces beaux guides de voyage – sans oublier Popote (recettes nomades) et Pinard (autour du vin vivant) – en pré-commande sur le site pour éviter toute production redondante.
Shinichiro Ogata, l’empereur des sens
Il y a des endroits complètement libres de géographie, de temps et d’espace. Lorsque les lourdes portes du sublime hôtel particulier parisien de la Maison Ogata s’ouvrent, on tombe dans un autre monde. L’ambiance cosy noie l’agitation du haut Marais. Sensation vertigineuse, presque carrollienne, de glisser dans un univers en clair-obscur où règnent pureté et harmonie. Le summum de l’esthétique japonaise incarné par le designer Shinichiro Ogata. Fondateur du studio de design Simplicity, qui opère au Japon dans l’aménagement intérieur de bâtiments publics, d’hôtels, de commerces ou encore le design de service et d’objets, M. Ogata développe également ses propres entreprises et produits. En francophile averti, il a ouvert Ogata Paris. On y trouve la quintessence de l’archipel : une pâtisserie, un restaurant, une galerie d’exposition, une sélection d’artisanat, une maison de thé, un salon de dégustation d’alcools… et depuis cette année, une cave à parfums.
Sous les voûtes de pierre ancestrales, dans la pénombre chère à Tanizaki, Ogata a créé Kaori, un laboratoire apothicaire dédié à la culture des parfums. Des parfums qu’il compose pour travailler sur le corps et l’esprit, « entre moyen et joie ». En plus de la collection d’encens, Ogata a imaginé Yoka, des parfums en poudre, composés d’ingrédients naturels de première qualité, broyés à la main (épices, herbes, racines, feuilles, agrumes, bois… parfumés). Contenu dans un pot en céramique au cœur d’une vitrine, le mélange parfumé se glisse dans un écrin en tissu que l’on transporte sur soi (dans une poche) ou que l’on place dans un placard. Raffinement ultime : la création d’un Yoka sur mesure avec un maître Kaori en une heure. Un voyage immobile.
Lotta Klemming, la princesse aux huîtres
L’archipel de la côte ouest suédoise est un fantastique vivier : langoustes, moules, langoustes, saumon, algues… mais aussi huîtres. Et ce n’est pas Lotta Klemming qui démentira cette information ! Il y a sept ans, la jeune femme quittait son emploi dans la mode à Göteborg pour se tourner vers une activité plus en phase avec son profond besoin d’authenticité. « A Grebbestad, mon père et mon oncle plongent depuis plusieurs années à la recherche d’huîtres, un peu comme passe-temps lucratif. Ils collectent des huîtres sauvages spécifiques à l’archipel, mais que les gens connaissent très peu, où les huîtres françaises sont majoritaires sur les cartes des restaurants », explique Lotta. Poussée par la volonté d’inverser la tendance, l’ex-mannequin décide de plonger pour récupérer les huîtres dont elle fait la promotion. « Au début, personne n’y croyait vraiment, mais moi, dès la première plongée, j’étais dans mon élément. Comme une nécessité pour mon bien-être », poursuit-elle, alors que les sessions de pêche se déroulent majoritairement en hiver dans des eaux de quelques degrés.
Encouragée par le succès de ses huîtres auprès de tables reconnues (Noma à Copenhague, Vra à Göteborg), elle décide de développer une structure « ostéo-tourisme ». « J’emmène quelques personnes sur les lieux de pêche pour les immerger dans l’écosystème de l’archipel de Bohüslan, dont j’aime partager la beauté et la pureté. L’été suivant, Lotta devait ouvrir une maison d’hôtes d’une demi-douzaine de chambres avec table d’hôtes, ouverte aux chefs invités, à quelques minutes de sa pêche. Avec le bureau Fabel Arkitektur, elle a imaginé un principe de construction avec un mortier composé en grande partie de coquilles d’huîtres concassées. Absolument durable !
Thierry Mulhaupt, l’aventurier du cacao
Faire « la romanée-conti de chocolat ». C’est l’objectif de Thierry Mulhaupt, rien que ça. Le chocolatier alsacien, l’un des rares à travailler directement la fève de cacao, n’est pas le seul à rêver de faire la meilleure tablette du monde. Mais il a mis les moyens. Tombé amoureux de la Colombie, il y achète en 2019 une finca de plantains pour y planter ses propres cacaoyers : 9 000 arbres de neuf variétés différentes. « Nous avons soigneusement analysé le sol puis les fèves, dont la teneur en cadmium ne doit pas dépasser un certain seuil. Sa plantation Quindio bénéficie d’un cadre naturel magnifique : un terrain escarpé et ensoleillé, traversé par trois rivières, dans les premiers reliefs de la cordillère des Andes. Sur ce sol riche, noir et fertile, les cacaoyers poussent à l’ombre des bananiers. Pas de pesticides ni d’engrais, mais l’influence bénéfique des arbres fruitiers de la plantation. « Les mandariniers, les goyaviers, les avocatiers, les vanilliers, les macadamia et les fèves tonka influencent le goût de nos cacaos », assure Thierry Mulhaupt.
La finca accueille également les visiteurs : le circuit dévoile le processus de transformation de la fève en chocolat : récolte, fermentation, séchage, torréfaction, broyage, conchage… L’occasion de déguster la délicieuse pulpe sucrée qui entoure la fève de cacao. Pour prolonger l’expérience, passez au moins une nuit à la maison d’hôtes située au cœur de la plantation. Les dix chambres bénéficient d’un cadre idyllique : une rivière sauvage, un jardin tropical peuplé de papillons et d’oiseaux multicolores… Mais c’est à table que l’on atteint de nouveaux sommets. On n’oubliera pas de sitôt le fondant au chocolat maison. Fruité, expressif, explosif, avec une belle longueur en bouche. Comme un vin fantastique, selon les souhaits de Thierry Mulhaupt.
Lire : Chocolat. L’Aventure Colombienne (en vente sur Mulhaupt.fr)
Nick Hunt, l’arpenteur des mots
Un sac à dos, un carnet de notes, une paire de chaussures robustes : l’équipement de Nick Hunt perpétue la plus belle tradition d’écrivain-voyageur, d’arpenteur de sentiers et de parachutiste. Depuis des années, ce Britannique de 41 ans parcourt l’Europe à pied, soignant ses fourmis dans ses jambes avec des kilomètres avalés et des récits de voyages écrits à la première personne, avec une plume souple et honnête. Dès le changement de scène, il a passé un appel. La lenteur, une quête. « L’expérience m’a appris ce paradoxe : voyager vite est une perte de temps, on passe à côté du meilleur, de tous les détails qui composent l’image du monde et la rendent riche », confie celui qui dans un discours TedX. est l’arrière-petit-fils de l’alpiniste John Hunt, chef de la première expédition victorieuse de l’Everest.
Porté par quatre vents du continent (le gouvernail, le mistral, le foehn et la bora), Nick Hunt a exploré les lieux insolites de l’Europe, ces « portails vers d’autres lieux » qui amènent les paysages là où on les attend le moins : un une toundra polaire en Écosse, une forêt vierge en Pologne, des steppes désolées en Hongrie. « Il y avait mon pays qui m’était étranger », écrit-il face au désert du Kent, dans son dernier récit paru en France en 2022. Soucieux de concilier voyage et sobriété, il s’implique dans le Dark Mountain Project, un collectif écologiste également actif. pour -Manche. Depuis peu, sa plume s’est tournée vers la fiction : il vient de publier son premier recueil de nouvelles au Royaume-Uni.
A lire : Un palmier en Arctique (Gallimard, 2022) ; Là où vont les vents sauvages (Hoëbeke, 2020).
Dorothée Meilichzon, la designer tout-terrain
C’est au cœur du vivant 10e arrondissement de la capitale que prend forme l’hospitalité made in France, selon Dorothée Meilichzon. Elle en incarne si bien les codes que Paris Aéroport lui a confié rien de moins que la décoration de la salle d’embarquement du Terminal 2G de Roissy-CDG ; livré au printemps dernier. Une première pour un architecte d’intérieur ! Au départ : 1 300 m² de salle d’attente et d’ennui à tromper, sans commerces ni restaurants. A l’arrivée : une prouesse de créativité où l’on retrouve les éléments phares de son esthétique toute parisienne : du bleu et du rouge, des assises différentes, des tables de jeux, une fresque inspirée de Sonia Delaunay, une célébration de l’art de la décoration intérieure à la française, façon seventies, sans en oubliant quelques clins d’œil aux monuments de la Ville Lumière, comme les arcades, la fontaine du Jardin du Luxembourg et ses chaises métalliques emblématiques… Belle vitrine et beaux souvenirs pour les passagers au départ. Ce que fait souvent l’énergique et productive Dorothée Meilichzon, recevant aujourd’hui en sweat, legging et Van’s, ses cheveux blonds attachés en catogan, dans son bureau conçu par elle-même (une exception car elle ne travaille pour aucune résidence privée), je dirais pas la patience ») pour parler de son métier, qu’elle aime et qui le lui rend.
« Quand j’étais petit, je voulais être inventeur. Plus tard j’ai découvert le design industriel, j’ai été très influencé par le livre de Raymond Loewy Laugideur se vend mal, les beaux jours de Starck. Je voulais aussi concevoir des aspirateurs, des stylos, des téléviseurs, des presse-agrumes… » La vie en a décidé autrement. Et au lieu d’objets du quotidien produits en série, ce sont des hôtels uniques, des restaurants, des bars à cocktails (mais aussi des meubles) que l’architecte d’intérieur a travaille à « inventer » depuis la création de son studio Chzon, en 2009. Elle signe ses premiers projets à Paris (les hôtels Paradis, Grand Pigalle, Bachaumont, Panache, Grands Boulevards), puis à Londres (Henrietta), Minorque ( Minorque Experimental), Venise (Il Palazzo Experimental)… 2023 verra les hôtels Montesol à Ibiza, Regina à Biarritz et Cowley Manor dans les Cotswolds (même l’endroit où Lewis Carroll a écrit Alice au Pays des Merveilles) entièrement rénovés par ses soins, et dans process un hôtel à Cargèse et un resort en Alentejo, 100% durable, car contrairement à ce qu’on dit, en design le mieux n’est jamais l’ennemi du bien.