C’est déjà une tradition annuelle (commencée l’an dernier…) : revoir les « films du regard bourgeois » de l’année dernière, c’est-à-dire montrer comment un certain cinéma nous impose les lunettes déformantes de son environnement, celui de la bourgeoisie . Le monde du cinéma continue de s’autoriser en silence le nombril social et la contemplation de soi, avec la complaisance des critiques. Et quand on ne parle pas de son environnement social mais des autres, les dégâts n’en sont pas moins grands… Bilan de l’année, par Rob Grams :
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Paris est à eux
On le sait, on l’a dit, les bourgeois ne jurent que par Paris. Il faut dire qu’elle est, en France, mais même dans une certaine mesure à l’échelle mondiale du fait de son association avec le luxe et la haute gastronomie, l’une de ses capitales. Et si tout le monde déteste les Parisiens, c’est qu’en réalité, peut-être sans le savoir, tout le monde déteste la bourgeoisie.
C’est ainsi qu’ils passent leurs journées à parler de ce Paris romancé, de ce Paris perdu, de ce Paris « magnifique ». Mais de Paris on ne voit que les rues des cartes postales, la vie sentimentale névrosée de nos amis bourgeois qui s’ennuient et gaspillent tout ce qu’ils peuvent. On ne verra pas la vie des ouvriers sur les chantiers qui foisonnent, des ouvriers de banlieue, des vendeurs ambulants dans les lieux touristiques, des livreurs Deliveroo, des prostituées de Chinatown, on ne verra pas les quartiers « moches » de Paris , nombreux en réalité. , mais où nos bourgeois s’en foutent (faire fi de certains quartiers est un sport national parisien) – et si on filme les grandes tours du XIIIe siècle, comme dans Les Olympiques de Jacques Audiard, ce sera en imposant noir-et -blanc péteux auteur de cinéma et parler de troupes libertines, certainement pas intéressé par la communauté chinoise.
Adieu Paris et Edouard Baer nous proposent un programme de « déjeuner avec des légendes de la vie parisienne ». Je sens déjà ton anxiété grandir : tu as raison. Café de Flore, immenses appartements haussmanniens, « gueuletons grossiers », humour « gaulois », bande de vieux blancs mal habillés et pleins d’argent hurlant à tue-tête dans une brasserie sans âme… rien ne sera épargné. Tout.
Pas même cette scène tirée des fantasmes de quinquagénaires lubriques où une pauvre serveuse dira d’un des piments, d’un air lascif : « Je trouve ça quand même très attirant. Une scène qui semble nous dire de « réveiller » à quel point nous nous trompons quand nous imaginons que les employées de restaurant auraient honte d’être harcelées sexuellement par de gros cochons de clients. Ouais, comment est-il possible que des jeunes de 25 ans qui paient le Smic ne soient pas immédiatement séduits par des gens riches, bedonnants et « beaux vivres » ? Ne serait-ce pas là la base du « flirt français » ? Mais bon, on comprend bien au titre et au discours que c’est ce Paris qui est en train de disparaître… Et on se dit : si seulement. Ce Paris qui ne cesse de mourir continue finalement plutôt bien.
De quoi parler quand on est un bourgeois qui fait du cinéma ? De bourgeois qui font du cinéma
C’est le sujet de Le Souvenir, un film en deux parties (et donc de près de quatre heures, pourquoi se priver si t’es génial, hein) dont je copie ici le synopsis de la première partie : « Julie, une jeune étudiante en cinéma toujours à la recherche d’elle-même, elle rencontre Anthony, un dandy aussi charismatique que mystérieux. Prise sous le charme de cet homme plus âgé, elle se lance à l’aveugle dans ce qui s’avère être sa première véritable histoire d’amour. Malgré les mises en garde de son entourage, Julie s’enferme peu à peu dans une relation toxique qui pourrait bien menacer son avenir. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner, hein ?
Tout y est : le piano élégant et dérangeant, les voix flegmatiques qui fument négligemment des cigarettes, la peur existentielle des personnages d’être « normaux » (quelle horreur), la culpabilité de la bourgeoisie d’être privilégiée et son désir de faire du tourisme social. (forgeant une « conscience politique » et une prise de position indignée qui fait d’ailleurs partie des critères d’inclusion au sein de la bourgeoisie culturelle), les meilleurs amis philosophes homosexuels (toujours sur le point de dire « mais enfin mon amour ! » en crachant une bouffée de fumée) , grandes phrases qui ne veulent rien dire évitez à jamais de considérer le couple dans leur matérialité concrète… Autant dire qu’on vous déconseille de jouer au bingo alcool, vous risqueriez de finir aussi saoul que la bande d’Au Revoir Paris.
Tout y est : le piano élégant et dérangeant, les voix flegmatiques fumant des cigarettes avec insouciance, la peur existentielle des personnages d’être « normaux » (quelle horreur), la culpabilité de la bourgeoisie d’être privilégiée et son désir de faire du tourisme social.
Il existe d’innombrables films qui parlent de cinéma. Ce n’est pas que, dans l’absolu, parler de ce que l’on sait et désobjectiver le travail du cinéma, montrer le film en cours, comme l’avaient fait certains cinéastes de la Nouvelle Vague, soit une démarche inintéressante, mais surtout cela nous montre, l’essentiel de l’époque, à quel point ces personnes ne connaissent que leur environnement et la fascination qu’elles éprouvent pour elles-mêmes. Évolués dans des milieux extrêmement protégés et privilégiés, ils n’ont jamais été confrontés aux réactions épidermiques qui déclenchent, chez le sujet normal, le spectacle de vomissements satisfaits.
La critique bourgeoise : à l’image de qui elle est et de ce qu’elle aime voir
Dans la bourgeoisie du cinéma il y a bien sûr des actrices et acteurs célèbres, des réalisateurs, des producteurs (sauf les techniciens), des institutions, mais il y a aussi la critique, celle qui nous engueulait dernièrement parce qu’on ne va plus assez au cinéma. Surtout, ne vous demandez pas pourquoi, hein, c’est juste qu’on est sûrement des ploucs ingrats, et à force de se le répéter, on va sûrement se rendre compte de notre indignité et revenir en s’excusant.
La critique bourgeoise évolue dans les mêmes cercles que les cinéastes bourgeois. Malgré les conflits de salon récurrents, une certaine forme de méchanceté (on ne va pas juger, hein) et de snobisme qui sont peut-être sa marque de fabrique, le népotisme est aussi monnaie courante : comme on le découvre dans ces films, Paris est petit. Mais au-delà des possibles conflits d’intérêts, l’amour du critique bourgeois pour le cinéma bourgeois est sincère. Cela correspond à sa vision du monde, cela flatte ses affections, elle se reconnaît dans ces personnages, dans les lieux, elle s’intéresse à ces thèmes narratifs, elle s’accorde politiquement avec ses thèses, elle est capable de porter des jugements sur la représentation de les cercles qu’elle connaît, et bien incapable de repérer les clichés sur ceux qu’il ne connaît pas.
Dans la bourgeoisie du cinéma il y a bien sûr des actrices et acteurs célèbres, des réalisateurs, des producteurs (sauf les techniciens), des institutions, mais il y a aussi la critique, celle qui nous engueulait dernièrement parce qu’on ne va plus assez au cinéma. Surtout, ne vous demandez pas pourquoi, nous sommes bien sûr des ploucs ingrats.
La nature même de cette écriture est bourgeoise : n’affectant jamais la réalisation du film, ne s’intéressant pas et ne décrivant pas les scènes réelles, ce qu’on voit à l’écran, et qui permettrait au fil critique de couler, la critique bourgeoise préfère écouter parler lui-même, verser de grandes abstractions, se rendre inaccessible si possible. Le but n’est pas d’écrire un texte direct sur le film, c’est d’écrire, pour soi, « un beau texte », « un beau texte » du moins de votre point de vue, on en a tellement marre des clichés tout faits. formulations critiques du type « un vrai bijou / moment de cinéma ! ce qui permettrait à une intelligence artificielle pas si mauvaise de le faire aussi.
Red Rocket de Sean Baker, le réalisateur de Tangerine et The Florida Project, est sorti cette année : Situé dans les États-Unis pauvres, ce film explore le point de vue d’un personnage masculin extrêmement toxique qui tente d’engager une très jeune fille dans la pornographie . . Ce film, super intéressant pour son traitement du regard masculin, qui questionne l’humour et la dangerosité de ce type de personnage, n’a rien de « chiffon bourgeois ». Mais l’interprétation que font certains critiques est assez révélatrice.
Le Figaro et Paris Match voyaient en lui le portrait d’un « magnifique perdant » (pour un personnage dont le réalisateur essaie clairement de nous montrer qu’il est un coup dur), tandis que Le Parisien voyait le film comme « une ode à ce qu’il restait ”. Il semblerait que notre critique coupe-colle des termes chaque fois qu’un film ne se déroule pas à New York : « les marges », c’est ainsi qu’il parle de l’Amérique ouvrière, sans se rendre compte que la bourgeoisie californienne ou de Manhattan est la seule vraie. » marge » dans un pays qui compte 34 millions de pauvres.
Les critiques français ont aussi adoré « le dernier James Grey », Armageddon Time, qui ne parle pas de la chute d’un énorme astéroïde que dévie Bruce Willis, mais d’un jeune homme blanc issu d’une famille plutôt progressiste, qui n’arrête pas de tomber, dans les pires moments. , son ami noir victime de racisme structurel.
Ainsi le célèbre Eric Neuhoff, l’habile critique du Figaro, a adoré le film, qu’il a bien compris : « Il y a aussi le père plombier, faible comme l’enfer, qui livre pourtant la morale de l’histoire : « La vie est injuste. Voici une morale impressionnante. Cela montre le niveau de politisation de ce que nous voyons : la culpabilité des classes moyennes démocratiques blanches, qui, selon James Gray, mérite un film.
Il y a cependant un film que la critique a reçu bien moins bien malgré ses tarifs, c’est le très marxiste Triangle of Sadness (sans filtre) de Ruben Östlund, qui dresse le portrait des rapports de force sur un bateau de croisière de luxe chaotique.
Alors souvent ailleurs, il a fallu chercher ailleurs des critiques politiquement pertinentes, comme celle de l’Afro-américain Robert Daniels intitulée « James Gray’s white coupable manifesto » qui résume bien ce que l’on voit. : les noirs sont victimes de racisme systémique, on les laisse berner, mais « tu dois faire ce que tu dois faire mec », au moins… on n’est pas des trumpistes !
Il y a cependant un film que la critique a reçu bien moins bien malgré ses tarifs, c’est le très marxiste Triangle of Sadness (sans filtre) de Ruben Östlund, qui dresse le portrait des rapports de force sur un bateau de croisière de luxe chaotique. En effet, comme toujours, pour montrer le capitalisme dans sa réalité, pour montrer la médiocrité des hommes d’affaires, le kitsch du luxe, pour rappeler qui travaille et qui exploite, pour dresser le portrait des trafiquants d’armes (une des plus grosses industries du monde en tout cas). la critique bourgeoise c’est un sacré manque de goût, c’est « caricatural », c’est « cynique », ça manque de l’incroyable subtilité que la bourgeoisie se plaît à lui imaginer. France info par exemple : « une approche un peu simpliste d’une lutte des classes actualisée » (la lutte des classes est simpliste !), Le JDD : « cet humour ne quitte jamais son cynisme béat » (ce truc cynique, ce n’est pas le capitalisme, c’est le montrer), Sud Ouest : « une horrible potion démonstrative, incapable de troubler les nuances de la vie et la complexité des êtres » (incapable de considérer les nuances et la complexité de la bourgeoisie), Télérama : « Leur grossière misanthropie, leur mépris narquois pour tous ses seuls personnages susciter l’ennui » (critiquer radicalement la bourgeoisie, c’est détester toute l’humanité).
L’incapacité de la critique à comprendre la pensée matérialiste et marxiste est bien illustrée par la culture, l’écriture et la panique : « Que nous dit vraiment l’œuvre d’Östlund ? Que les sociétés européennes sont profondément inégalitaires, que les ultra-riches sont des êtres immoraux et que le pouvoir appelle le vice, la cupidité au détriment de la solidarité ?
Eh bien non : les jugements moraux ne sont pas exactement le domaine du film, c’est celui de ce critique qui interprète tout à travers ce prisme. Ruben Östlund ne juge pas vraiment ses personnages, au contraire, il a même tendance à les rendre assez sympathiques et drôles à de nombreuses reprises. Ce qu’elle met en mouvement, ce sont des situations révélatrices de positions sociales et de rapports de force. La dernière partie du film, dans laquelle le bateau de croisière s’échoue sur une île déserte, est souvent vue comme un « changement » et un « renversement ». Cependant, le personnage de l’ouvrier, Abigaïl, ne devient pas bourgeois comme l’homme riche des deux premiers volets, car l’oisiveté est la marque de la bourgeoisie. Dans la 3e partie, celui qui travaillait déjà dans les deux premières parties continue de travailler. Ce qui change vraiment, c’est que ceux qui bénéficient du fruit du travail sont désormais ceux qui travaillent et non plus les propriétaires du capital. Jusqu’ici le cynisme.
La palme reste pour Libération, dont la critique commence ainsi : « L’absence d’amour dans ce film est évidente. C’est une absence radicale d’amour ou, pire encore, une absence d’amitié. Il paraît que c’est son thème ». Sauf que le thème de Ruben Östlund (qu’il ne cache pas) n’est pas « l’amour », c’est l’économie. Loin d’être sexiste, une des thèses du film semble proche de celle de Paola Tabet, Anthropologue féministe et auteure du concept de « continuum d’échanges économico-sexuels », l’idée que toutes les relations sexuelles entre hommes et femmes impliquent des formes de transactions. Ainsi, la situation de quasi-prostitution de Carl dans la troisième partie du film n’est ce n’est pas exactement une autre farce cynique, car ce n’est pas un réel changement par rapport à la situation de Carl tout au long du film et à l’une de ses lignes directrices : les relations amoureuses et sexuelles sont des relations largement rémunérées alors que dans la première partie on demandait à Yaya de l’aimer et ce dernier lui répondait que leur partenaire était une relation professionnelle, dans le troisième elle a demandé à Abigail de la contacter, le deuxième moyen de cacher sa situation de dépendance et de la traiter nsactionnel. nature de leurs relations.
Evidemment ce type de thèse est dérangeant, mais ce sont des thèses intéressantes qui méritent mieux que de déplorer « l’absence d’amour »…
Athena : Male Gaze et Bourgeois Gaze font bon ménage
Dans les deux articles précédents sur le regard bourgeois, j’évoquais la vision policière du monde que transmet le cinéma bourgeois. Évidemment, cela touche aussi les quartiers populaires et les banlieues. De ce point de vue, Athéna, réalisé par Romain Gavras et écrit par Ladj Ly, qui narre une émeute après ce qui semble être une erreur policière impliquant un enfant, est peut-être l’illustration la plus parfaite de cette vision qui mêle virilisme et mépris de classe. .
Romain Gavras, « fils de », est notamment célèbre pour son clip de Stress du groupe Justice, digne d’un clip du RN (qui n’avait pas échappé au Mélenchon d’il y a 15 ans), et fan de « riot porn » depuis longtemps, ce terme qui désigne la fascination esthétique et dépolitisée pour les images d’émeutes violentes et qui illustre bien une partie du travail de Gavras (son clip pour No Church In The Wild de Jay-Z & Kanye West, par exemple).
La tragédie est précisément la façon dont la banlieue est presque toujours représentée, et c’est un slogan incroyablement conservateur, comme un message envoyé à ses habitants et aux rebelles : quoi que vous fassiez, quoi qu’il arrive, vous avez déjà perdu. Ce point a été bien souligné en 2015 par les Cahiers du Cinéma et son numéro sur « le vide politique du cinéma français », toujours d’actualité : si le cinéma bourgeois adore la tragédie, c’est parce que la tragédie calme la bourgeoisie. Certes les situations sont injustes, mais comme c’est déjà écrit, rien ne peut être fait pour y remédier. Par conséquent, vous pouvez être indigné, vous sentir coupable mais ne pas vous sentir menacé.
La tragédie est précisément la façon dont la banlieue est presque toujours représentée, et c’est un slogan incroyablement conservateur, comme un message envoyé à ses habitants et aux rebelles : quoi que vous fassiez, quoi qu’il arrive, vous avez déjà perdu.
C’est d’autant plus dommage que le thème d’une guérilla urbaine, pris au sérieux, serait un thème intéressant pour le cinéma : est-ce possible ? Comment serait-il organisé ? Comment serait-elle ? Mais l’amour de la symétrie et les performances techniques de ce film d’action granuleux (qui ne fonctionne pas en tant que tel) l’emportent immédiatement sur ces considérations. Une fois de plus les jeunes des banlieues sont filmés non pas en tant qu’individus mais comme le ferait CNews : des masses hurlantes, presque du bétail.
Le film s’ouvre sur des discours d’hommes politiques et de médias qui semblent sincèrement vouloir que les auteurs de l’erreur soient traduits en justice et condamnés. Premières minutes, premières imbécillités : comme si les auteurs de gaffes n’étaient pas systématiquement camouflés, défendus bec et ongles par les médias.
Cette faiblesse politique se retrouvera tout au long du film. Faiblesse, le terme est gentil car très probablement nous sommes face à une grande lâcheté, dont témoigne notamment l’infinie bêtise du rebondissement final : l’absurdité n’avait pas été commise par la police mais par des néo-nazis déguisés en policiers… C’est à dire dire que critiquer la police et l’État, ce n’est pas seulement se faire des amis… Critiquer les groupes néo-nazis, c’est toujours bien.
Premières minutes, premières imbécillités : comme si les auteurs de gaffes n’étaient pas systématiquement camouflés, défendus bec et ongles par les médias.
S’il est vrai que, parfois, des militants d’extrême droite ont pu vouloir faire dérailler ou créer des situations pour des raisons électorales (des militants du FN brûlant des voitures, l’extrême droite suédoise brûlant des Corans dans des quartiers à forte densité de musulmans…), Gavras et Ladj Ly Se il passe complètement à côté du fait que l’extrême droite n’a absolument pas besoin de se déguiser en policier pour agir, puisque la police est déjà composée à 70% d’individus d’extrême droite.
Si le film devait le prendre pour ce qu’il est, comme un film d’action très à droite, qui aime mettre en scène la violence pour elle-même et de manière saccadée, il aurait presque pu réussir. Même si, comme Louisa Yousfi, auteure de Rester Barbares, l’a justement souligné à propos du film et en réaction à des commentaires du type « de toute façon, il y a de beaux plans séquences… » : « l’interprétation technique ne fait pas une proposition esthétique ».
Ce qui rend Athéna absolument insupportable, c’est sa prétention au discours politique. Car ce qui passionne Romain Gavras et Ladj Ly, ce n’est nullement la société, les conflits, c’est une certaine forme de masculinité, ultra virile, ultra violente, « guerrière ». C’est ce qu’ils aiment filmer, c’est ce qu’ils aiment montrer. Donc, ils peuvent être soit des policiers, des voyous, des militaires, des « jeunes de la ville » (c’est bien qu’on ait tout ça dans le film et son scénario de gloubiboulga), pour eux c’est pareil : ce sont surtout des « vrais mecs » . , à « grosses boules », plongés dans la même « guerre ». Aussi très vite, comme on l’avait déjà vu dans Les Misérables, on a de nouveau appris qu’il n’y aurait pas de femmes en banlieue, des mères pour la figuration, en retrait, dans le meilleur des cas. Le regard bourgeois et le regard masculin se complètent assez bien…
Cette idée de se heurter à des mecs qui, malgré leurs différences, auraient en commun leur masculinité « guerrière » est assez classique. Ce ne serait même pas grave si, pour légitimer tout cela, Gavras et Ly n’essayaient pas de bousiller une déclaration politique stupide avec de la musique d’opéra.
C’est la seule façon de comprendre qu’ils sont fascinés à la fois par les CRS et les jeunes des urbanisations, car le point commun qui nous est montré n’est pas leur condition sociale.
Athéna, c’est donc avant tout la rencontre de deux cinéastes masculinistes, qui semblent avoir une analyse presque soralienne de la « crise de la masculinité ». Notre jour viendra, l’un des premiers films de Gavras (qui avait au moins le mérite d’être drôle), parlait précisément d’hommes blancs frustrés, dévirilisés, qui décident de « redevenir des hommes » (entre autres en tabassant des Arabes). A cette époque, on imagine le thème le plus provocateur et satirique qui soit puisé dans des convictions profondes.
Athéna n’est pas un film qui dénonce les violences policières ou d’extrême droite, qui montre la situation sociale explosive dans les banlieues, la pauvreté, la frustration sociale, c’est un film qui nous dit que, finalement, les derniers « vrais hommes » ce sont les flics, les fachos et les gens racisés des banlieues. Il faut aussi noter que la même bourgeoisie culturelle de gauche qui avait adoré Les Misérables, qui avait été très en colère contre notre critique du film, détestait Athéna – incapable de comprendre que c’est deux fois le même film, écrit par la même personne .
Vivement 2023 !
Sinon, cette année aussi la bourgeoisie aura eu de grands cas de conscience face aux plans de licenciements qu’elle doit mettre en place (Otro Mundo), elle s’est (encore) trompée sur les yachts (Azuro), elle a malmené les riches lubriques (Masquerade) et tenté de sauver leur partenaire avec des vacances en Grèce (On Sourit pour la Photo) : c’est toujours plus excitant, excitant, original.
Une année de bon niveau donc, mais qui peut encore mieux faire. Heureusement, le cinéma français a commencé un beau travail de questionnement, de diversité, pour enfin proposer quelque chose de différent.
MAIS NAN QUITTEZ-MOI ! L’année prochaine !