Équipements électriques alternatifs, horaires changeants, télétravail… Avec la menace de tension qui pèse sur le réseau électrique cet hiver, les entreprises doivent réfléchir aux mesures qu’elles prendront en cas de coupure de courant. Mais l’incertitude entourant ces coupes et le délai de préavis prévu complique considérablement leur tâche.
Personne ne sait s’il aura lieu, ni quand il aura lieu, ni où il aura lieu. Et pourtant, la possibilité même de mettre en œuvre ces délestages sur le territoire soulève de profondes interrogations. Le gouvernement a tenté d’apaiser les inquiétudes en créant un plan spécial de crise détaillant les différentes conséquences de ces coupures d’électricité, ainsi que les mesures à prendre. Mais de nombreuses inconnues subsistent, notamment sur les dispositions que les entreprises devront et pourront prendre sur leur personnel.
Pour certaines entreprises, une panne d’électricité pourrait avoir de graves conséquences et entraîner la perte d’une partie de la production. Mais en plus des défis logistiques ou techniques strictement liés à la production, les employeurs sont également confrontés à l’organisation du travail et à la gestion du personnel.
« Il n’y a rien dans le droit du travail qui prévoit spécifiquement la disposition dans ce cas particulier », commence le rappel de Me Eric Rocheblave, avocat spécialisé en droit du travail. En revanche, l’électricité peut être considérée, au même titre qu’un marteau ou un ordinateur, comme un outil de travail.
« Mais l’entreprise a l’obligation de fournir des emplois aux employés, de leur verser des indemnités et de leur fournir les outils nécessaires pour effectuer ce travail », souligne-t-il.
D’autant plus que, selon les experts, ce ne serait pas un cas de force majeure qui dégagerait l’employeur de l’obligation de fournir des outils de travail à ses salariés.
Les groupes électrogènes, la meilleure option?
Cela peut passer par l’élaboration et la mise en place préalable d’un plan de continuité d’activité (PCA) ou par une réflexion et une anticipation moins formelle de ce type d’allègement. L’alimentation d’un groupe électrogène pour compenser les coupures de courant peut également être une bonne solution pour assurer la continuité de l’activité. Il est obligatoire dans certaines entreprises stratégiques, notamment dans les aéroports.
« Il y a deux populations d’entreprises. Celles considérées comme critiques – entreprises de défense et de santé (hôpitaux, maisons de repos, etc.), centres de données – qui sont équipées depuis longtemps parce qu’elles y sont légalement tenues, ou leurs les assurances les mandatent. Et il y en a et d’autres, qui sont très mal équipés », expliquait Lenaïk Andrieux, président du Groupement des industries des groupes électrogènes (Gigrel), dans les colonnes des Echos, le 5 décembre.
Pour les entreprises classiques, malgré l’augmentation récente des demandes de devis, le taux d’équipement est encore très faible. C’est un coût important pour les petites structures pour lesquelles une telle installation ne serait utilisée que dans un scénario très hypothétique.
Le délai de prévenance, un casse-tête
Si elles ne parviennent pas à s’équiper, les entreprises devront s’asseoir sur les heures de travail perdues ou réorganiser les horaires de travail en déplaçant les horaires de leurs employés, par exemple.
Bien que précédée d’une première alerte d’Ecowatt deux jours avant, la mise en place effective de ces coupes ne sera confirmée que la veille pour le même jour.
Un délai court qui n’est pas non plus compatible avec le délai de préavis prévu par le Code du travail, notamment en cas de modification des horaires de travail. « Toute modification des horaires de travail doit être décidée suffisamment à l’avance et de manière à permettre au salarié de s’organiser », rappelle Eric Rocheblave.
La possibilité d’obliger les salariés à prendre des congés ou des RTT pendant les périodes de chômage technique est soumise aux mêmes limitations.
Quant à l’application exceptionnelle du travail à distance les jours chômés, elle pourrait également être envisagée pour les activités qui le permettent. Cette option a un avantage car elle répond à une série de conséquences difficilement appréhendables pour les employeurs, comme « la fermeture des écoles, mais aussi le fonctionnement des ascenseurs, du chauffage, des serveurs de sécurité,… », énumère Benoît Serre.
Le télétravail, une solution selon les cas
Cependant, même ici, une telle mesure ne s’improvise pas. Pour les entreprises qui l’utilisent régulièrement depuis la crise sanitaire, ce sera facile. En revanche, pour d’autres qui ne l’ont jamais mis en place, cela pose des questions juridiques. « Le télétravail nécessite théoriquement une consultation en ergonomie du poste de travail et en médecine du travail », précise Me Rocheblave. Sans compter que même les salariés dont le domicile est en zone de secours ne pourront pas télétravailler.
Enfin, bien que surprenante sur le papier, la mise en place d’une activité partielle de droit commun pour une durée d’allègement aussi courte (2 heures au plus) ne semble pas exclue. Le gouvernement considère les restrictions d’électricité comme une raison exceptionnelle mais possible de recourir au chômage partiel, dans le cadre d’un plan de résilience économique et sociale élaboré début janvier pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine.
« Dans le cas où une entreprise directement concernée par le délestage ne serait pas en mesure d’aménager les horaires de travail de ses salariés pour faire face à cette situation, il est possible, en dernier recours, de se mobiliser pendant la durée du délestage et, le cas échéant applicable, pendant le temps nécessaire au redémarrage des unités de production, le mécanisme d’activité partielle de droit commun, fondé sur ‘toutes autres circonstances exceptionnelles’ (‘secours’ souterrain) », selon le site internet du ministère du Travail, dont le contenu a été mis à jour le 7 décembre.