Minée par une épidémie de bronchiolite en ce début d’année, la pédiatrie révèle toutes ses lacunes, entre un manque criant de professionnels et un manque criant de moyens.
« La bronchiolite n’est que la cerise sur ce qu’on ne peut malheureusement pas appeler un gâteau », résume Pascal Le Roux, pédiatre au groupe hospitalier du Havre et secrétaire général du Conseil national professionnel de la pédiatrie (CNP). Il a suffi d’une épidémie antérieure pour faire tomber tous les services pédiatriques qui ne tenaient déjà qu’à un fil.
Depuis deux mois, enfants, bébés et nouveau-nés s’entassent dans les services d’urgence, qui ne peuvent plus remplir leur mission principale : les soigner. Épidémie pourtant assez prévisible en cette saison, mais qui expose cette année les difficultés et le manque de moyens de la pédiatrie en France.
Une tribune publiée ce mercredi 30 novembre sur le site du Monde et signée par 10 000 soignants interpelle le président de la République, lui reprochant son « silence assourdissant » sur la crise profonde que traversent ces services.
Déjà en 2021, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la pédiatrie et l’organisation des soins de santé des enfants révélait un panorama « inquiétant » du fait du déclin démographique de la pédiatrie libérale avec, par conséquent, une diminution préjudiciable des soins préventifs. .
Sommaire
Inégalités territoriales
Avec 8 500 pédiatres, dont 53 % travaillent exclusivement comme salariés hospitaliers et 25 % exclusivement comme libéraux, la France se classe au 21e rang des pays de l’OCDE en termes de densité de pédiatres par rapport à la population. .
Avec un salaire parmi les plus bas par rapport aux autres spécialités médicales, les pédiatres libéraux sont rares. Et ils sont aussi inégalement répartis sur le territoire. Dans huit départements, la densité est inférieure à 1 pédiatre pour 100 000 habitants1.
27,5% des enfants vivent dans un désert médical pédiatrique
Au contraire, Paris est le département le mieux doté avec 13,7 pédiatres pour 100 000 habitants. Ainsi, 27,5 % des enfants vivent dans un désert médical pédiatrique, selon une étude publiée début novembre par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir.
L’organisme note également qu’entre 2016 et 2020, la part des pédiatres pratiquant des honoraires excessifs a augmenté de 7 points pour atteindre 46,9 %. Par défaut, les parents se tournent alors vers les médecins généralistes, qui assurent plus de 85% des consultations urbaines pour les moins de 16 ans, alors que leur formation en médecine pédiatrique « reste hétérogène et insuffisante au regard de ce rôle d’animation », souligne le rapport de l’IGAS.
15 à 20 % de lits fermés à Paris
La profession vieillit également, avec 44 % des pédiatres en exercice de plus de 60 ans. « Nous devrions accueillir au moins 600 stagiaires chaque année pour prendre la relève, aujourd’hui nous en sommes à 350 », indique Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement de l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris).
Du coup, les parents se tournent automatiquement vers les urgences débordées, qui souffrent aussi d’un manque de personnel. Faute d’armement, à l’université de Lille, le service dédié aux épidémies hivernales est resté fermé cette année, ce qui représente 10 lits de moins pour accueillir les enfants malades, sans compter les 12 lits de néonatologie fermés depuis l’été dernier.
« On ne sait plus où mettre les enfants », prévient Emmanuel Cixous, président du Syndicat national de la pédiatrie hospitalière (SNPEH) et pédiatre à l’hôpital de Seclin (Nord).
En Île-de-France, depuis le début de l’épidémie de bronchiolite, une trentaine d’enfants ont déjà dû être transférés dans des hôpitaux situés à plus de 100 kilomètres de leur domicile.
Selon Rémi Salomon, 15 à 20 % des lits pédiatriques seraient fermés dans les hôpitaux de la capitale, un chiffre qui pourrait grimper à 50 % dans certaines régions. En Île-de-France, depuis le début de l’épidémie de bronchiolite, une trentaine d’enfants ont déjà dû être transférés dans des hôpitaux situés à plus de 100 kilomètres de leur domicile. Un paysage tout aussi préoccupant dans le reste du pays.
« Nous transférons des enfants de la métropole de Lille à Boulogne-sur-Mer, à près de 150 kilomètres. Aujourd’hui, il faut contacter sept, huit hôpitaux avant de trouver une place », s’indigne Emmanuel Cixous, qui avoue être obligé de « prendre des risques », en faisant sortir les enfants plus vite pour éviter d’encombrer les lits.
Et même si la grande majorité des pédiatres continuent de se tourner vers le secteur hospitalier, le poids plus important de la continuité et de la constance des soins dans les services pédiatriques (appels, garde, demandes des parents aux urgences) a un effet décourageant sur les vocations. le rapport de l’IGAS.
« Quand tu es pédiatre malade, tu fais des urgences, tu gardes une chambre, tu fais de la réanimation, des visites de maternité, des consultations… C’est très intéressant, mais quand tu dois faire cinq à huit appels par mois, ça devient vite insupportable, vous faites ça, que vous ne pouvez pas le supporter. « , explique Pierre Callamand, chef du service de pédiatrie à l’hôpital de Béziers.
De onze membres en janvier, son équipe est passée à 4,5 aujourd’hui.
Nivellement par le bas des compétences
« Aucun étudiant ne veut plus faire de pédiatrie, c’est devenu sa dernière option », ajoute Rémi Salomon. En effet, le rang maximum d’une tâche n’a cessé d’augmenter au cours de la dernière décennie. En 2010, l’interne le moins bien classé ayant choisi la pédiatrie se trouvait au milieu du classement. En 2020, le dernier participant était de préférence placé au-delà des deux tiers.
En cause : le poids élevé de la permanence des soins et de la continuité des soins, la faible rémunération, mais aussi la longue durée (cinq ans à partir de 2017) et l’intensité du troisième cycle de pédiatrie.
« Les jeunes ne veulent plus avoir de limites de garde et, financièrement, c’est beaucoup plus intéressant de devenir chirurgien plasticien que pédiatre », explique Rémi Salomon.
Egalement pointé du doigt par les acteurs du secteur en raison de ce manque de ressources, l’emploi de professionnelles en soins généralistes plutôt que de spécialistes de la petite enfance
« Ce qui nous énerve aussi beaucoup, c’est qu’on entend souvent : un petit enfant, une petite maladie, de petites ressources pour y répondre », s’inquiète Pierre Callamand. Le pédiatre dénonce l’inadéquation des prix des actes médicaux (et chirurgicaux) par rapport aux spécificités de la pédiatrie, notamment la durée des actes qui peut être jusqu’à trois fois plus longue.
Remarqué également par les acteurs du secteur en raison de ce manque de moyens, l’emploi de professionnelles généralistes plutôt que spécialisées en puériculture – dont les salaires sont un peu plus élevés.
« On remplace les puéricultrices par des infirmières, les puéricultrices par des infirmières, les pédopsychiatres par des psychologues… C’est une course vers le bas, quand ça vaut la peine de le répéter : un enfant n’est pas un adulte en miniature », affirme Jean-François Pujol , pédiatre au centre hospitalier de Libourne .
« Nous avons un manque total de reconnaissance et les services ne valorisent pas nos compétences pourtant essentielles », pointe Claire Royer de la Bastie, présidente du collectif Je suis Infirmière Puéricultrice. D’autant que depuis 2009, la formation initiale des infirmiers « généralistes » ne comprend plus de stage ou de formation obligatoire en pédiatrie.
« Les services perdent en rapidité de prise en charge, en qualité de prise en charge, et les professionnelles avouent que commencer un appel avec des infirmières qui n’ont pas les mêmes compétences que les puéricultrices, ça crée de l’insécurité », renchérit Julie Doucet, infirmière en Maternelle et Protection de l’Enfance (PMI).
Assises de la pédiatrie au printemps
Dans le même temps, leurs compétences, notamment en matière d’accompagnement et de prévention, sont sous-utilisées dans le secteur ambulancier car leur exercice est limité aux PMI. « Notre rôle, c’est la prévention. Mais aujourd’hui, on n’a plus les moyens de faire ça, explique Julie Doucet. Dans mon secteur, on refuse six à huit demandes de suivi médical de bébés par semaine. » Selon le rapport Peyron, publié dans 2019, le nombre de médecins PMI a diminué de 25 % depuis 2010, tandis que le nombre d’enfants vus en consultation a diminué de 45 % entre 1995 et 2016.
« Lavez-vous bien les mains, portez un masque si vous avez un rhume, aérez bien les pièces… l’éducation des parents, qui peut se faire en PMI, est pourtant indispensable pour éviter le développement de maladies, notamment la bronchiolite, qui sature ; aux urgences », explique Rémi Salomon.
Les récentes annonces du ministre de la Santé François Braun représentent 400 millions d’euros, dont la part spécifique revenant à la pédiatrie reste pour l’instant inconnue.
Tentant d’endiguer cette épidémie, qui met en péril le système de santé, le gouvernement a lancé, pour la troisième année consécutive, le plan blanc, permettant aux professionnels d’être rappelés pendant leur congé. « C’est une mesure d’urgence mais il y a un risque d’avoir un effet néfaste, d’épuiser davantage les équipes et de les pousser plus vite vers la sortie », s’inquiète Emmanuel Cixous.
Face à cette crise, le ministre de la santé, François Braun, a annoncé, entre autres, la prolongation jusqu’au 31 mars du « doublement de la rémunération des heures de nuit pour tous les personnels hospitaliers » et les « révisions des primes de soins » étendues notamment aux puéricultrices dans les services de pédiatrie. L’ensemble représente 400 millions d’euros, dont la part spécifique revenant à la pédiatrie reste à ce jour inconnue. « Ce sont des solutions pour nous permettre de tenir dans les trois prochains mois », a-t-il dit.
Un nouveau rendez-vous budgétaire devrait avoir lieu lors de la Conférence nationale de pédiatrie au printemps 2023. Mais c’est encore loin d’être suffisant pour les professionnels. « Il n’y a rien de concret, c’est le moment de trouver des solutions. On soigne les patients, on fait le travail, c’est à eux de nous donner les moyens de pouvoir continuer. », conclut Pierre Callamand.