Trouver un dentiste se complique dans l’Allier, où l’on manque de « 70 praticiens » selon l’ordre. Fin 2022, seuls 166 d’entre eux sont actifs, tous en recherche de recrutement. « Nous refusons entre quinze et vingt patients par jour », compte-t-on au cabinet du Moulin.
« La demande explose. On refuse entre quinze et vingt patients par jour », calculent Pierre Bruet et Guillaume Bedra, fondateurs du cabinet Anatole-France à Moulins. « A Moulins, c’est pas mal [vingt-six praticiens recensés en agglo à l’endroit de la ligne, ndlr], mais il y a aussi tous les villages environnants. On peut voir des patients à 60 voire 80 km, venant de la Nièvre ou Saône-et-Loire. »
Les secrétaires de cabinet confirment : « Nous sommes souvent appelés pour des urgences, des maux de dents, des abcès, des dents à plomber. » Soit ce sont des personnes qui n’ont plus de dentiste et qui ont besoin d’un check-up et qui n’ont pas passé de check-up depuis longtemps. Cependant, nos horaires sont pleins jusqu’à trois, quatre mois. Nous avons du mal à faire face aux urgences au bureau. Et les délais pour nos patients sont déjà très longs, il faut bloquer les créneaux. Nous prenons donc leur numéro et les appelons si nous avons un poste vacant. »
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Des bouches « catastrophiques »
Guillaume Bedra ajoute : « Parfois, on fait des prescriptions d’antibiotiques et d’analgésiques sans les voir. C’est au-dessus de la ligne. Soit on les réfère à leur médecin, mais ce n’est pas leur boulot ! Et pour continuer :
La plupart du temps, ils vont à l’hôpital ou en voiture à Clermont-Ferrand, au centre dentaire étudiant, à Estaing, où nous avons été formés.
Pascal Vincensini, président du conseil des chirurgiens-dentistes de l’Allier confirme la tendance mondiale. « Les délais de livraison ont été rallongés. Les collègues, pour la plupart, ne peuvent pas recevoir de nouveaux patients. Nous avons des gens qui ne trouvent pas de dentiste. Certains s’inscrivent partout sur Doctolib, chez des collègues qui utilisent cette plateforme, et se rendent au rendez-vous le plus proche… sans annuler les autres ! »
Chaque enfant doit théoriquement être examiné de 3 ans à 24 ans, tous les trois ans, dans le cadre du régime d’assurance maladie MT dents : « Si les parents ont un médecin, il n’y a pas de raison de refuser, sinon, on dépend sur la situation démographique », est-il précisé dans les arrêtés.
Une permanence des soins le dimanche, mais…
La permanence des cures du dimanche matin, une dans chaque arrondissement de l’Allier – Moulins, Vichy, Montluçon – pointe aussi des problèmes. Chaque médecin est de garde un ou deux dimanches par an pour les urgences, joignable de 9h à midi (en principe), via la plateforme d’appel 15, Samu 03. « Quinze patients en une matinée », précise Pierre Charvet, dentiste à Moulins. « Parfois, on retrouve les mêmes d’un garde à l’autre. Tout le monde nous demande s’ils peuvent intégrer notre base de patients. »
Il y avait 250 chirurgiens-dentistes dans l’Allier en 2000, et aujourd’hui il n’y en a plus que 176 (2021)
Pascal Vincensini note également : « Certains patients viennent sur ces permanences téléphoniques pour faire refermer leurs couronnes. Mais ce n’est pas urgent ! La douleur est urgente, c’est une infection. Nous estimons deux à trois rendez-vous injustifiés par secteur, par week-end. Nous avons des gens qui ne sont traités que le dimanche. La profession demande qu’un centre de conseil préventif soit mis en place chaque année. Cela limiterait les gens à des bouches catastrophiques, pour lesquelles nous ne pouvons pas faire grand-chose en cas d’urgence. »
Recrutement actif
Toutes les entreprises sont donc en phase active de recrutement. « C’est une situation catastrophique », résume le représentant de la profession. « A Lapalisse, où je suis, nous avons un cabinet dans une maison de repos, où nous recherchons également des collègues ou des sœurs féminines… ainsi que des assistantes dentaires et des aides dentaires. Par l’intermédiaire d’une société spécialisée, nous avons réussi à embaucher une secrétaire médicale que nous formerons en tant qu’assistante dentaire. On a aussi essayé de faire de la pub via Pôle Emploi… Certains départements proposent même un logement et même une voiture. On n’est pas là à l’Allier, mais certaines zones déficitaires proposent un practice tout équipé. »
Le saviez-vous? Le CHU Estaing à Clermont-Ferrand propose un service dentaire d’urgence 24h/24 et 7j/7 (mars 2021)
C’est le cas de Neuvy, à côté de Moulins, ou plutôt ce fut le cas, précise son maire récemment élu Alain Deguelle, qui a « hérité » de la situation : « En 2017, nous cherchions un dentiste. On s’attendait à ce qu’un pratiquant des pays de l’Est vienne, mais cela ne pouvait pas arriver. Nous n’avons pas cherché depuis. Nous avons donc un local vide tout équipé au Centre de Santé, en face du parking du centre du village. » Cabinet municipal ou privé, le conseil d’ordre a fait ses calculs : « Dans dix ans nous perdrons un tiers des pratiquants. Soixante-dix dentistes supplémentaires sont nécessaires dans l’Allier. »
Du mieux espéré d’ici six ou sept ans
Ça semble avoir mal commencé : « Quand j’ai quitté le collège, il y a quarante ans, on savait déjà que ça allait coincer. Parce que les jeunes ne travailleront pas 50 heures comme les vieux. Et parce que les femmes travaillaient moins parce qu’elles s’occupaient davantage de leurs enfants », analyse Pascal Vincensini, qui nuance néanmoins : « Nous vivons actuellement ce choc de la pyramide des âges. Mais je dois signaler qu’il y a eu des reprises, par exemple de l’entreprise rue de Villars, à Moulins. Des associés et associés arrivent [un jeune dentiste à Souvigny en 2020, par exemple]. Le professionnel ajoute :
Nous entrons dans une phase plus favorable. Nous n’étions que 166 stagiaires, nous reviendrons à 170, notamment grâce aux étrangers.
L’ordre est en cours de certification des diplômes et des tests de langue pour deux Italiens, un Bulgare et deux Roumains. Si par le passé les pays de l’Est étaient fortement représentés, aujourd’hui nous sommes davantage dans les pays du Sud, avec des écoles privées formant des praticiens, notamment en Espagne. Dans six ou sept ans, ça devrait aller mieux. »