L’éclairage de novembre fait rêver les enfants et se reflète sur les carrosseries des voitures. Phares allumés, ils forment un carrousel et les passagers des avions en phase d’atterrissage admirent cette effervescence lumineuse d’en haut. Nous sommes des lycéens d’une période moins critique. Casque dans les oreilles, le K7 rembobiné, on chevauche nos destriers métalliques. La chaîne vibre au rythme des coups de pédale. Sur la route menant à la foi, il y a cette excellente Mercedes Classe C toute neuve, phares allumés, moteur tournant. Nous passons en voiture en rêvant du jour où nous aussi nous aurons notre propre voiture pour rouler dans la chaleur. Dans les années 90 et 2000, les réseaux sociaux étaient les cinémas, les parcs, les piscines, les terrains de sport, les aires de jeux. Nous avons pris le vélo en enfilant des baskets. C’était le moyen de transport le plus silencieux, le plus simple, le plus pratique, mais surtout le plus abordable. Près de trois décennies plus tard, voici un boomer caressant la quarantaine, toujours sur sa monture. Aidé par un moteur électrique cette fois. Cependant, il pensait qu’une fois le permis dans une poche et les clés de la voiture dans l’autre, il n’aurait plus besoin de pédaler. Mais qu’a-t-il pu se passer pendant ce temps ?
Au début, ce n’était pas grand-chose. Les trottoirs et les routes étaient des pistes cyclables et cela ne dérangeait personne. Sautez les marches, soulevez les roues, descendez les escaliers, roulez sans vous poser de questions, sans penser aux chiffres de l’INSEE sur la mortalité routière, sans vous coiffer d’une tête à l’effigie de la planète. Puis la voiture est arrivée. Avec elle le plein à 0,990 € le litre d’essence. Retour des amis du soir, après avoir roulé jusqu’au petit matin. Jetez-vous au lit, le réservoir comme le corps vide, mais la tête pleine.
Puis la vie nous a rattrapés. Le billet de cinquante euros ne remplissait plus le réservoir. L’entretien est devenu trop cher. Il fallait prendre la voiture soit pour conduire pour le plaisir, soit pour aller dans des endroits sympas. Elle est devenue cet objet qui sert à servir de carburant et qui finit par demander de l’aide. L’amour que nous lui avons donné s’est transformé en rage dans un embouteillage. Nous nous sommes retrouvés à l’emmener chez le médecin de l’automobile pour diagnostiquer ses chances de survie. Car sa valeur se limitait à quelques pièces qu’il faudrait tôt ou tard changer. Il fallait le garder et l’amour n’a pas duré les 3 ans de LOA.
Les transports en commun, lorsqu’ils sont accessibles, deviennent un véhicule de tous les jours. Plus de liberté, bonjour la dépendance. Les odeurs, les retards, les gens qui partagent cet espace limité avec nous, littéralement collés contre nous. Jour après jour, nous pleurons un plaisir cher, égoïste, mais bien mérité. Les jours, les semaines et les mois passent. La voiture est là. Prêt à nous aider, à être utile. L’herbe a même poussé à côté des pneus. Il est parfois utilisé pour faire du shopping ou rendre visite à des amis. Un jour est la goutte d’eau. Celui qui fait déborder l’amphore de fatigue. Celui qui nous met professionnellement dans une situation très préoccupante. Celui qui peut tout arrêter. Nous examinons donc ce qui est une alternative. La voiture de tous les jours est un gouffre financier. La moto et le scooter impliquent des équipements coûteux, et sont également coûteux à utiliser. Il y a un vieux VTT dans un coin. Un peu d’huile de coude et d’huile, du gonflage et c’est prêt à arpenter la ville.
Nous recommençons à faire du vélo. Les dents apparentes, les larmes réchauffant les joues, les doigts gelés. Il semblait moins violent étant enfant. Les pistes sont bien présentes et on se rend compte qu’on n’est pas seul sur un cycle. D’autres utilisateurs, scintillants, roulent également. Parfois, un bambin arrivait devant, ou derrière. Il apprécie la sensation de liberté, la caresse du vent sur son visage, le mouvement, la vitesse. Autant de sensations qu’il préfère ne pas trop approcher quand le froid pointe son nez et fait son chemin.
Le problème n’est pas la voiture, la moto ou le vélo, mais le partage de la route et l’acceptation que nous évoluons en flux. Un flux qui, en 30 ans, est passé de 30 à 40 millions de voitures, auxquels se sont ajoutés 2 millions d’usagers de la mobilité urbaine (selon l’ADEME). Un flux gérable tant que nous anticipons les autres et informons les autres de ce que nous faisons. A condition de respecter les règles sans jouer au justicier. Parce que l’erreur est humaine et peut arriver à chacun de nous. C’est simple, mais si ça marche pour les avions, pourquoi pas pour les engins terrestres ?
Le cycliste se comporte de manière égoïste. Car comme la moto, le vélo est une activité individualiste, un moment en soi. Loin de l’esprit cycliste, les cyclistes ne se saluent pas. Il existe des rivalités entre les vélos électriques et les vélos musculaires. La rampe risque d’être percutée par un cycliste qui a éteint le feu. Il n’est pas le seul responsable. L’automobiliste veut absolument finir d’écrire son SMS et commence donc les yeux baissés sur son téléphone, maladroitement caché en dessous. Très vite, on compare les risques de blessures en cas de collision plutôt que d’essayer de les éviter, mais paradoxalement, pour tous les gens qui voyagent au quotidien, les choses se passent, le plus souvent, sans encombre. Internet a accentué une pseudo-rivalité entre deux clans bien réels. Oui il y a des accidents, mais sur les millions de trajets quotidiens, cela reste marginal. Triste, sérieux, mais marginal.
En 30 ans, les moyens de transport sont passés de l’action pratique à l’affirmation politique. C’est une honte. Le cycliste de la semaine, écologiste, œuvrant pour la planète, devient, le week-end prochain, un monstrueux conducteur de SUV, acronyme de Satan Urban Vehicle, si l’on en croit la véhémence à son égard. Une personne, deux clans opposés. Schizophrénie numérique et purement numérique.
Car en fait, les vélos et les scooters partagent les garages avec les voitures et les motos. Ce ne sont pas les machines qui posent problème, ce sont les personnes aux commandes. Sommes-nous devenus si stupides ? Non, c’est juste une minorité bruyante qui prend plaisir à jeter de l’huile sur le feu et à se plaindre ensuite qu’il est brûlé. Les autres souhaitent simplement voyager dans un confort à la hauteur de leurs moyens et de leurs envies, en toute sécurité, quelle que soit la forme du véhicule.
Nous n’avons jamais eu autant de solutions de mobilité qu’aujourd’hui. Reste à adapter le parcours en conséquence. Car c’est cette variété qui permet de décongestionner le trafic et d’optimiser les déplacements. Mais surtout, mettez de côté cette provocation absurde et risquée.