« L’Afrique en thérapie » (5). Haut à Alger, un centre de désintoxication soigne les patients toxicomanes à l’aide d’exercices physiques et de tisanes maison.
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« Il est devenu irritable. Il s’isole, mange rarement avec nous, néglige ses études. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il avait rechuté », raconte Lamia en attendant dans la cour de la Youth Security Association. A l’intérieur du cabanon, dans l’espace fitness, son fils aîné, Youssef, en jogging et pull bleu sur le dos, pédale sur un vélo d’appartement. Un étudiant en droit de 21 ans, pris dans une spirale d’addiction, alternant sevrage et rechutes depuis six ans.
Il a développé une toxicomanie après la mort de son père. D’abord avec le « zetla » (marijuana) puis, plus récemment, avec le « saroukh » (fusée), des anxiolytiques comme le Lyrica ou ses génériques, dont la molécule principale, la prégabaline, a un effet euphorisant et addictif. Moins chère et relativement facile d’accès, cette « drogue du pauvre » prisée des jeunes a inondé le marché noir en Algérie ces dernières années, où elle coûte entre 600 et 800 dinars le comprimé (entre 4,38 et 5,84 euros). Une explosion qui a un impact dévastateur sur la santé mentale des consommateurs.
« Les troubles psychologiques, tels que la dépression, l’anxiété et la phobie sociale, favorisent le développement de la dépendance. Mais l’abus de drogues avec le temps peut amplifier des troubles préexistants ou être source de pathologies, comme les troubles alimentaires, l’anxiété ou la dépression », rappelle Noura Yefsah Touzene, psychologue au Centre de croissance et de développement personnel de Tizi Ouzou. .
Un sujet tabou
Construit sur un terrain alloué par le ministère de l’Agriculture au cœur de la forêt de Bouchaoui, dans les hauteurs d’Alger, le centre de désintoxication où Youssef est soigné mise sur des méthodes douces pour faire évader ses visiteurs. Ici, il n’y a pas de distribution de médicaments de substitution aux opiacés, comme la méthadone, contrairement à certaines cliniques privées haut de gamme et à la quarantaine de centres publics spécialisés dans l’addiction, qui sont rattachés à des hôpitaux psychiatriques. « A la place, nous proposons des tisanes artisanales, élaborées à partir d’une dizaine de plantes, qui servent à calmer les crises d’angoisse et les insomnies liées aux fringales », explique Abdelkrim Abidat, président de l’association. .
Cette approche devrait permettre de revitaliser les organes, dont le foie et les reins, qui sont touchés par la surconsommation chimique. « La naturopathie brise le schéma de dépendance qui maintient les toxicomanes piégés », expliquent les psychothérapeutes. Il est également conseillé aux patients de faire de l’exercice, « parce que la consommation de drogues nuit à l’organisme et qu’il est important de le renforcer et de l’oxygéner ».
Depuis son inauguration en 2019, le centre a accueilli plus de 6 000 personnes souffrant d’addictions, notamment aux stupéfiants. Certains viennent de très loin, parfois de la pointe sud du pays. Et le nombre a augmenté depuis la pandémie de Covid-19. « Beaucoup de personnes en fragilité psychologique vivent mal cette période, raconte Rachid Mokhtari, directeur de l’établissement. Une proximité excessive, dans un cadre familial morose voire dysfonctionnel, n’aide pas. La fin de la consultation non plus. C’est une tendance mondiale que nous examinons ici aussi. »
Dans une étude de 2010 – la dernière publiée – l’Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie estimait qu’environ 300 000 Algériens étaient aux prises avec la toxicomanie. Ce chiffre est bien en deçà de la réalité, selon certains experts. Car si elle est reconnue comme un problème majeur de santé publique par les autorités depuis 2017, la toxicomanie reste un sujet tabou dans ce pays.
Marché noir
« Si on veut enquêter dans certains espaces comme les universités ou les écoles, on se met en travers », regrette Sadjia Bentounes, psychologue clinicienne et professeur à l’université d’Alger II. Autrefois confinée au centre-ville, la dépendance s’est propagée aux zones rurales et reculées. « Un nombre croissant de familles déclarent avoir au moins une personne à charge sous leur toit », a déclaré Mme. Bentounes. Le nombre de consultations dans les centres publics de traitement des dépendances est en augmentation. Et le phénomène ne laisse aucune classe sociale.
Autrefois confinée au centre-ville, la dépendance s’étend aux zones rurales et reculées
Comme ailleurs dans le monde, la toxicomanie en Algérie concerne principalement les jeunes entre 15 et 25 ans. On observe le phénomène de la maltraitance « dès la préadolescence et même l’enfance », précise Mme Bentounes : « Souvent les jeunes trafiquants de drogue finissent par succomber à la tentation ; dans certains cas, les enfants sniffent de la colle faute d’autres drogues. C’est juste que « plus vous commencez jeune, plus vous avez de chances de développer une dépendance », se souvient le psychologue.
Aux avant-postes de la lutte contre les conduites addictives depuis une trentaine d’années, Abdelkrim Abidat, qui suivait les consommateurs de cannabis, a constaté un nombre croissant d’addictions aux opioïdes de synthèse, comme le tramadol. Détournées de leur usage, ces drogues sont vendues à bas prix sur le marché noir. Les praticiens ont également vu son profil de patient évoluer. « Les femmes, jusqu’ici protégées, ont un accès plus facile aux médicaments. Ils sont initiés par leur groupe d’amis ou de partenaires. On les voit de plus en plus demander de l’aide », souligne la psychothérapeute.
C’est le cas de Jasmine, venue s’inscrire dans un programme de thérapie au centre Bouchaoui. Sa silhouette élancée flottait dans sa tunique verte. L’étudiant en ressources humaines de 25 ans, accro à la marijuana et à l’alcool, dit souffrir depuis qu’il a « tout arrêté » il y a un mois. « Je ne peux plus dormir, je perds la mémoire, mon cœur bat la chamade. Je pensais pouvoir me guérir, mais je ne peux pas », a-t-elle déclaré.
« Faire le vide »
Selon Mme Yefsah Touzene, toutes les formes d’addiction ont le même but : combler ou cacher quelque chose. « Pour de nombreux jeunes, ce phénomène est favorisé par les blessures narcissiques et la faible estime de soi souvent associées à un premier amour non partagé ou à une première rupture amoureuse », expliquent les chercheurs. Ils ne trouvent personne à qui parler ou n’osent pas le faire, car ce sujet est sensible dans la famille. »
Abdelhak, enchaîné à des contrats dangereux et à des emplois non annoncés, tente d’échapper au quotidien avec l’odeur du chanvre.
Selon les médecins, l’augmentation de l’usage compulsif de drogues est aussi le produit de la vulnérabilité accrue des plus jeunes dans un pays où un tiers de la population de moins de 25 ans est au chômage. Abdelhak, qui a enchaîné des contrats dangereux et des boulots inopinés dans la mécanique, fait partie de ceux qui tentent d’échapper au quotidien avec l’odeur du chanvre. « Je veux me vider la tête, arrêter de penser. Pour ça, que ce soit une moto ou une zetla », confie le garagiste de Boumerdès, qui se rend au centre de Bouchaoui depuis un mois.
L’homme de 27 ans, à la joue enfoncée bloquée par une blessure, ne compte plus les récidives. « Tous mes amis fument des joints. J’ai tenu un mois max et j’ai craqué », a-t-il confié. « L’effet d’entraînement est fort. Il est important de s’éloigner voire de couper les ponts avec les anciens collègues, conseille Mme. Yefsa Touzène. La famille est allée jusqu’à déménager pour sauver leur enfant. »
Pour les psychologues, la réinsertion sociale et professionnelle de la personne sevrée fait défaut. « C’est tout un travail multidimensionnel, associant psychologues, familles, écoles et services sociaux, qui doit être fait. Pas seulement une aide médicale, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, disent les psychologues. Car si à leur sortie, les anciens toxicomanes retrouvent les mêmes conditions de vie, la même difficulté à trouver leur place dans la société, la guérison sera vaine. »
Résumé de notre série « L’Afrique en Thérapie »
Dépression, schizophrénie, trouble bipolaire… La maladie mentale reste un parent pauvre des politiques de santé publique en Afrique. Les États du continent ne consacrent en moyenne que 0,46 dollar à leurs soins par habitant, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande aux pays à faible revenu de consacrer au moins 2 dollars. Au manque d’investissements s’ajoutent les tabous qui pèsent encore sur les « fous » dans de nombreux pays africains.
Célia Zouaoui (Algérie, correspondance)
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