Marsh France est un cabinet de courtage en assurance et de conseil en gestion des risques. Il y a quelques jours, lors d’un grand soir du journal, son président Fabrice Domange a pris la plume pour nous faire « profiter des interconnexions des crises pour maximiser l’impact des solutions collectives ». Bref, parce que les crises climatique, écologique, sanitaire, sociale et économique sont inextricablement liées, elles peuvent entrer dans un cercle vicieux où l’aggravation de l’une enclenche l’aggravation de l’autre, ou dans un cercle vertueux, où la solution de l’une affecte l’autre négatif positif. Et Fabrice Domange appelle à « une action concertée et rapide (…) pour garder la fenêtre ouverte sur le scénario de réchauffement climatique en dessous de 1,5°C », voire pour réduire les inégalités qui gangrènent notre société, tout cela pour regagner la confiance du peuple.
Donnons à ce dirigeant que le moment de parler est bien choisi : la crise poly actuelle inquiète même les participants du Forum de Davos, qui réunit l’élite économique mondiale. Donnons-lui aussi un juste diagnostic de l’état du monde, ce que confirme un récent rapport sur les inégalités de l’ONG Oxfam, qui dénonce la polarisation de la répartition des richesses : toujours plus riches, toujours plus pauvres. Cette dernière réduction est l’un des points à mettre au crédit de la mondialisation de l’économie depuis les années 1980.
Déconnexion stupéfiante du discours et des actes
Mais ne donnez pas à M. Domange une bonne connaissance du monde des affaires, à commencer par le sien. S’il regardait Marsh France, il serait surpris de constater que celui qu’il dirige a participé à la construction du système d’assurance des projets de pipeline TotalEnergies d’Eacop en Ouganda et en Tanzanie : le pipeline de 1 200 kilomètres de long chauffe jusqu’à 50°C en raison de la viscosité du pétrole extrait, et près de 30 millions de tonnes de CO2 sont émises au fil du temps, sans parler des déplacements de population et de la perte de biodiversité dans l’une des plus belles régions d’Afrique. Oui, sans doute avec un projet comme Eacop on peut très bien comprendre « l’interconnexion de crise ».
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Un tel discours imprudent est un autre exemple de la déconnexion surprenante entre la parole et l’action. Mais il n’est pas le seul, et ses cas semblent se multiplier lorsque l’urgence frappe. C’est le président de TotalEnergies qui préside l’association Entreprises pour l’environnement, et le président d’une grande compagnie pétrolière qui présidera la prochaine COP28 ! De toute évidence, l’écologie est devenue un problème trop sérieux pour être laissé aux écologistes sincères. Les apparences suffisent à elles seules, et toute polémique sombre dans le déni et les querelles entre avocats : le bien n’est qu’un moment du mal. Les coquilles vides se multiplient, les logos foisonnent, les engagements royalement pris, pourvu qu’ils soient vagues, autorégulés, et concernent l’avenir lointain. Tout dans le temps : pourquoi traiter 2050 avant 2050 ?
Le niveau d’exigence a monté, il serait temps de s’en apercevoir
On pourrait même se demander si le président Marsh s’adressait à quelqu’un d’autre qu’à ses actionnaires ou employés, si ces discours n’étaient pas à usage interne, pour alimenter une illusion collective. Heureusement, de telles incohérences sont aujourd’hui systématiquement constatées et rapidement dénoncées par ceux qui observent et mettent en garde contre les incohérences de ceux qui parlent trop fort sans aligner leurs propos sur leurs engagements.
Le niveau de la demande a augmenté, tout comme le niveau des océans. Il est temps d’en prendre conscience et de ne pas profiter de la « poly crise » pour créer de la vertu. L’entreprise n’est plus une boîte noire, elle doit assumer sa responsabilité sociale et environnementale, et ne se contente plus de l’apparence. Heureusement, d’autres acteurs économiques entament de véritables transformations. A eux de parler et de montrer les étapes d’un véritable engagement.