Immigration : cinq questions qui façonnent le débat

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Sommaire

1. La France reçoit-elle beaucoup de migrants ?

Dans le débat public, les déclarations se succèdent pour qualifier de « massive » l’augmentation de l’immigration dans notre pays. Il est vrai que le nombre de migrants internationaux y a augmenté de 35 % entre 2000 et 2020, selon les chiffres de l’ONU. « La France continue d’avoir une immigration importante, et sa part d’immigrés dans la population atteint aujourd’hui entre 9 et 11%, selon les comptages, le taux le plus élevé depuis que l’on compte les étrangers », explique Didier Leschi. , directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Cette augmentation, qui s’est accélérée dans les années 2000 en raison de l’augmentation de la population et de la mondialisation des échanges, concerne le monde entier. « Le nombre de migrants internationaux a été multiplié par 3,5 en quarante ans dans le monde », explique Matthieu Tardis, responsable du pôle migration et citoyenneté de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Et, ajoute-t-il, « la plupart d’entre eux se trouvent davantage dans les pays à faible revenu ».

Pourtant, si la France a longtemps été le premier pays d’immigration en Europe, ces derniers temps, elle a moins attiré que ses voisins. « Nous sommes redevenus l’un des tout premiers pays demandeurs d’asile, 150.000 en 2019, le deuxième après l’Allemagne », note Didier Leschi (1). Mais l’asile reste un motif minoritaire d’immigration. Au total, « sur les vingt dernières années, l’augmentation annuelle du nombre de personnes nées à l’étranger est, en France, d’environ 1,6 pour mille habitants. C’est environ deux fois moins qu’en Allemagne, en Italie ou au Royaume-Uni, trois fois moins qu’en Espagne, en Autriche et en Suède et presque quatre fois moins qu’en Suisse », précise l’association Desinfox Migrations. En 2020, confirme Eurostat, l’organisme statistique de l’Union européenne, la France compte 12,7 % de ressortissants nés à l’étranger, soit plus qu’en Italie (10,3 %), qui a longtemps été un pays d’émigration, mais désormais moins qu’en Espagne (14,8 %). , Allemagne (19,8%) ou Suède (19,5%).

Chez nous, le débat reste particulier car « nous avons la spécificité d’être, comme les Etats-Unis, un vieux pays d’immigration », où les immigrés ont désormais des enfants voire des petits-enfants en France, souligne Didier Leschi. L’importance de l’immigration dans nos vies n’en est que plus grande. « En ajoutant les enfants d’immigrés nés sur le territoire français, près d’un quart de la population a un lien avec l’immigration », presque autant qu’aux Etats-Unis où cette part atteint 26%, précise le haut fonctionnaire. Or, en projetant les flux migratoires actuels et en comptant les descendants d’immigrés mais aussi les enfants nés de couples mixtes, en 2050, calcule Hervé Le Bras (2), on se retrouverait avec une population composée au maximum de « 4,5 % de descendants purement immigrés, 9,4 % de descendants d’origine mixte et 76,6 % d’origine purement non immigrée ».

2. Qui accueillons-nous ?

L’immigration est le produit d’une histoire. Le passé colonial de la France marque encore les flux migratoires car les émigrés s’installent avant tout dans un pays dont ils parlent la langue et où une communauté peut les accueillir. Ainsi, les Algériens et les Marocains restent les deux nationalités les plus représentées parmi les personnes nées à l’étranger vivant en France. Les Portugais, très nombreux dans les années 1960 et 1970 à fuir la dictature et venir travailler dans le BTP en France, forment le troisième.

Cependant, les origines des immigrés tendent à se diversifier. Certes, en 2019, dernière année non perturbée par le Covid, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie restent les trois premières nationalités auxquelles la France a délivré le plus de titres de séjour, mais la Chine arrive en quatrième position, suivie de la Côte. d’Ivoire… « Depuis les années 1990, on assiste à une augmentation des pays francophones d’Afrique subsaharienne et, plus récemment encore, à une augmentation des demandes d’asile de personnes venant d’Afghanistan », explique Matthieu Tardis.

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Autre fait notable : en France, du fait de son statut d’ancien pays d’accueil, l’immigration familiale reste le principal motif de délivrance des titres de séjour. Cela fait parfois dire à certains qu’en France l’immigration est plus subie que choisie. « Si l’on regarde les flux de 2019, avant le Covid, avec environ 90 000 premiers titres par an, l’immigration familiale reste le principal motif d’émission, mais on peut noter une stabilisation depuis près de dix ans, analyse Matthieu Tardis. On note également une augmentation, voulue par les pouvoirs publics, des titres d’étudiants, qui ont atteint près de 90 000. » Contrairement aux pays d’immigration plus récente, « le motif économique est moins important que le motif familial, mais il tend à augmenter puisqu’il 40 000 en 2019 contre 26 000 en 2016 », poursuit le chercheur. Quant au motif humanitaire, il est en hausse depuis 2007, et c’est désormais l’Afghanistan qui arrive en tête des pays d’origine les plus représentés.

3. La France est-elle plus généreuse que ses voisins ?

Certains pensent que si les exilés choisissent la France, c’est en raison de son modèle social. Une thèse qui conduit parfois certains à parler d’un « appel à l’air ». Dans son livre, Didier Leschi énumère en effet les conditions d’accueil réservées aux nouveaux arrivants, plus généreuses que celles de nos voisins. « La France a cette particularité de bénéficier spontanément d’une grande partie de son modèle social », explique-t-il. Par exemple, je ne connais aucun autre pays où l’hébergement d’urgence est accordé sans condition à quiconque, qu’il soit ou non en situation régulière. Ensuite, pour la santé, « l’aide médicale de l’État offre aux personnes sans titre de séjour presque autant de couverture que le panier de soins général. Enfin, pour les demandeurs d’asile, « en Allemagne une personne accueillie par l’Etat reçoit 135 €, en France 204 € », ajoute-t-il.

Pourtant, l’actualité le montre régulièrement : ces droits, qui ont un coût, ne sont pas toujours et partout effectifs. Lundi 5 décembre, la maire écologiste de Strasbourg, Jeanne Barseghian, a annoncé son intention de poursuivre l’Etat en justice pour son « défaut » d’abriter les personnes à la rue, et notamment les migrants. « Concernant le logement, il faut rappeler que dans notre pays, de nombreux migrants sont contraints de s’installer dans la rue faute de logement disponible, ce qui n’était pas le cas en Allemagne, même au plus fort des arrivées », observe Matthieu Tardis.

4. A-t-on plus de sans-papiers que les autres pays ?

Le sujet est devenu d’autant plus sensible que le nombre de demandeurs d’asile dépasse les 100 000 par an : car chaque année plus de quatre demandeurs sur dix sont déboutés et donc censés retourner dans leur pays d’origine. S’il n’y a, par définition, pas de recensement officiel des personnes sans titre de séjour, un centre de recherche américain, le Pew Research Center, estimait dans une étude publiée en novembre qu’il y aurait entre 3,9 et 4,8 millions de personnes dans ce cas en 2017 en Europe. . Entre 800.000 et 1,2 million vivraient au Royaume-Uni, réputé pour son marché du travail ouvert aux personnes non déclarées. Entre 600 000 et 700 000 résideraient en Allemagne. L’Italie compterait entre 500 000 et 700 000 sans-papiers. Quant à la France, elle n’aurait compté que 300 000 à 400 000 sans-papiers en 2017, dont une fraction – environ 30 000 personnes par an – aurait été « régularisée » via la circulaire Valls.

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Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin estime qu’« entre 600 000 et 700 000 » sans-papiers vivent aujourd’hui en France. Elle repose sur le fait que 369 000 personnes bénéficient de l’Aide médicale de l’État, réservée aux personnes en situation irrégulière, et que, selon plusieurs études, près d’une personne sur deux qui y aurait droit n’en bénéficierait pas. ne pas.

C’est pourquoi la nouvelle loi sur l’immigration du gouvernement, comme la loi de 2018 avant elle, vise avant tout à améliorer l’efficacité des expulsions. « En France, le taux d’exécution des expulsions vers la frontière tourne autour de 14,3 %, alors que la Commission européenne parle d’une moyenne de 30 % dans l’Union », précise Matthieu Tardis. Chez nous comme chez nos voisins, le principal obstacle reste la difficulté d’expulser vers des pays qui ne souhaitent pas reprendre leurs ressortissants et leur refusent donc l’indispensable laissez-passer consulaire.

5. Sait-on intégrer nos immigrés ?

La question de l’accueil des nouveaux immigrants est d’autant plus sensible que l’intégration des anciens immigrants n’est pas complète. « L’OCDE, qui fait des comparaisons internationales, semble dire qu’on s’en sort moins bien qu’ailleurs, rappelle Matthieu Tardis. Ce que l’on constate à travers les statistiques françaises, c’est que, moins d’un an après l’obtention d’un titre de séjour délivré fin 2018, le taux de chômage des nouveaux arrivants est de 20%, contre 8,3% pour les non-immigrés, avec une difficulté particulière pour les femmes. Et pour l’ensemble de la population immigrée, il existe encore un écart important entre le taux de chômage des immigrés (15,3 %) et celui des non-immigrés (8,3 %). Mais on peut tout de même constater que cet écart tend à se réduire. »

Une des causes de ces mauvais résultats est le profil de ceux qui nous rejoignent. « Ce qui caractérise notre immigration, c’est la sous-qualification, souligne le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Plus de 40 % des immigrés en âge de travailler sont non qualifiés ou peu qualifiés. Cela peut s’expliquer par le fait que dans les pays d’origine de nos immigrés, les plus qualifiés choisissent désormais de s’exiler dans les pays anglo-saxons. Et cela affecte d’autant plus les parcours d’insertion que les emplois industriels peu qualifiés tendent à disparaître dans notre pays. »

Autre spécificité française à ses yeux, la faiblesse des « prérequis en matière de maîtrise de la langue » vis-à-vis des nouveaux arrivants. Certes, en 2018, la France a investi dans ses cours de langues pour les nouveaux arrivants. Mais, actuellement, seuls 75 % des personnes qui obtiennent des papiers puis signent le « contrat d’intégration républicaine » obtiennent le niveau A1, le plus bas. Le gouvernement entend désormais subordonner l’obtention d’un premier titre de séjour pluriannuel à un examen de français.

Le futur projet de loi immigration

Asile. Pour accélérer la procédure, l’exécutif souhaite une territorialisation de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Si la demande de l’étranger est rejetée, il reçoit automatiquement une obligation de quitter le territoire français, qui deviendra exécutoire une fois son recours terminé.

Professions en tension. Les sans-papiers qui travaillent déjà dans des métiers en tension auront droit, sous réserve d’ancienneté, à un nouveau titre de séjour.

Langue française. L’obtention de la première carte de séjour pluriannuelle sera soumise à un examen de français.

Expulsions. Le gouvernement veut réduire les recours de 12 à 4. Le projet de loi veut permettre l’expulsion des étrangers sans papiers arrivés en France avant l’âge de 13 ans et ceux ayant une vie conjugale en France.