De nombreux animaux ont non seulement un « héritage », mais le transmettent à leurs petits ou à leurs proches, en perpétuant le privilège… ce qui peut provoquer des conflits.
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LES ÉCUREUILS JALOUSENT LES RÉSERVES DES AUTRES
Depuis la fin de l’été, l’écureuil s’affaire à ramasser des pommes de pin, des graines et des noix. Selon son espèce, il se stocke alors dans des trous ou au sol, près de l’eau, sous les pattes ou les racines. Il n’est pas question de partage : l’écureuil est asocial. Hormis les quatre mois où les femelles finissent d’élever leurs petits, cet animal vit seul.
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Sa richesse se mesure au nombre de trésors qu’il collectionne, et donc au nombre de caches remplies – qu’il garde jalousement. S’il surprend un congénère à proximité ou, pire, en train de préparer sa nourriture – ce qui est courant – la situation se dégrade rapidement ! Car ces réserves dépendent de sa survie pendant les longs mois d’hiver.
Surtout, ce qui est intéressant pour Jennifer Smith, biologiste au Mills College (Oakland, USA), c’est que chez les écureuils roux d’Amérique du Nord (Tamiasciurus hudsonicus), cette propriété procure un réel avantage à toute la tribu : « Maman peut garder des cônes et donner. cela profite à sa fille, lui donnant ainsi un champ riche. Les filles qui reçoivent de telles ressources vivent plus longtemps et se reproduisent plus tôt que celles qui en sont privées », écrivait-il dans un article publié en novembre 2021. Chez l’écureuil, le déséquilibre peut se transmettre d’une génération à l’autre, et affecter l’évolution de la population.
LES HYÈNES HÉRITENT DU STATUT MATERNEL
Dans les familles d’hyènes tachetées (Crocuta crocuta) qui vivent au sud du Sahara en Afrique, la dominance est très complexe : les femmes sont les dominantes. Un groupe de femmes âgées accompagnées de leurs enfants forme alors un grand groupe. Leur pouvoir est basé sur la richesse sociale : il se renforce en renforçant et en favorisant leur relation avec les autres lignées maternelles.
Ces liens sont importants pour protéger la zone qu’ils partagent, qui à son tour héritera de l’endroit où ils obtiennent leurs ressources alimentaires. Les travaux de la biologiste Kay Holekamp, de l’université du Michigan, ont surtout montré que plus l’hyène s’appuie sur un soutien social plus important, plus sa position de leader est élevée et plus elle a accès aux ressources naturelles, aux animaux et à la pourriture. .
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Ce double héritage, de parenté et de terre, profite non seulement aux femmes puissantes mais aussi à leur progéniture : dès l’âge de quelques semaines, les jeunes apprennent à gouverner les autres membres de la famille avec l’aide de leur mère. Ils héritent notamment de son réseau, sorte de « carnet d’adresses », encore plus efficace que le pouvoir pour renforcer leur pouvoir. En raison de cette propriété particulière, les ours vivent plus longtemps et se reproduisent davantage que ceux de rang inférieur.
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LES BERNARD-L’ERMITE JOUISSENT D’UN ASCENSEUR SOCIAL
Personne n’est trop grand ou trop petit ! La carapace vide idéale recherchée par le crabe doit pouvoir avoir son estomac souple et rond pour le protéger non seulement de la déshydratation mais aussi des prédateurs (crustacés, poissons, loutres, etc.). Il doit donc être suffisamment grand pour disparaître complètement, et suffisamment petit pour ne pas être fatiguant à transporter.
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Cependant, trouver la bonne carapace n’est pas une fin en soi : l’animal doit se déplacer plus souvent au fur et à mesure de sa croissance. « Le problème est que bien qu’il y ait beaucoup de petits coquillages, il y en a peu de gros », explique Ivan Chase, de l’université Stony Brook à New York. Seuls quelques-uns ont été sélectionnés dans ces grandes maisons, créant un déséquilibre : un chercheur américain a calculé que chez les crabes à bras longs (Pagurus longicarpus), 1 % des personnes possédaient 3,2 % du poids total des carapaces ! Les inégalités sont toutefois moindres que dans la population, où les 1 % les plus riches détiennent près de 50 % de la richesse mondiale.
Heureusement, il existe un ascenseur social chez le crustacé. Lorsqu’une grosse carapace est lâchée après la mort de sa mère, « elle est vite investie par un crabe voisin, qui sort la sienne quand elle est beaucoup plus petite, observe la sociologue. Ce dernier rendra le voisin heureux, et ainsi de suite ». Ce que les professionnels de l’immobilier, chez les particuliers, appellent une « chaîne de vacances », lorsqu’un nouveau bien très convoité arrive sur le marché…
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LES PICS GLANDIVORES ENTRETIENNENT UN DOMAINE FAMILIAL
Il atteint le tronc et, de la bonne manière, place le gland avec son bec dans le trou creusé à cet effet. C’est ainsi que les pics gland (Melanerpes formicivorus) du sud des États-Unis construisent leurs nids d’hiver. Sculpté depuis des générations, son toit peut accueillir des milliers de glands, disposés les uns à côté des autres.
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Il a également fait de petits trous pour recueillir la sève de l’arbre. Au sein de cette tribu, le groupe qui domine la région est riche en nourriture, réserves et petits puits. Cependant, certaines familles règnent sur plus de 50 ha ! Forcément, cela attise la convoitise… et provoque des guerres ethniques, comme l’expliquaient en 2020 des biologistes de l’université Old Dominion (Norfolk, États-Unis).
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LES POISSONS-CLOWNS VIVENT CHEZ L’HABITANT
Les poissons-clowns vivent dans un véritable château : une anémone. Peut-être recouverts d’une enveloppe protectrice, ils sont les seuls à porter ce légume mordant. Certains partagent leur anémone avec des « colocataires ». Chez les poissons-clowns, pas de népotisme : les cartes se répètent à chaque génération. En effet, lorsque les œufs sont éclos, l’araignée est emportée par le vent.
Au fur et à mesure qu’ils descendent, ils se transforment en juvéniles et attachent rapidement de nouvelles anémones. Là, la règle s’applique : l’anémone est dirigée par une femelle, qui se reproduit avec un seul des mâles. Certains d’entre eux ne se reproduisent pas. À moins que le membre du couple au pouvoir ne meure, comme l’a montré Peter Buston de l’université de Boston. L’un de ses « partenaires » est alors promu pour élever un homme avec un survivant. Qui, s’il était un homme, aura changé de sexe depuis longtemps.
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LES CAPUCINS ONT LE SENS DES AFFAIRES
Il fallait être courageux : dans son laboratoire de l’université de Yale (États-Unis), le psychologue Laurie Santos a amené des singes capucins au vertige. Et les observations qu’il écrit depuis près de 20 ans sont stupéfiantes. Ses amis ont vite compris que les petits outils métalliques permettaient d’obtenir des gens des morceaux de pommes, de concombres ou de bonbons.
Ils seront aussi très malins : s’ils ont le choix entre des morceaux de pomme à des prix différents, ils achèteront le moins cher. Il est également difficile de les influencer : si l’inspecteur leur promet deux morceaux de pomme et ne leur en donne qu’un, les capucins se tournent vers un autre vendeur fiable. Cependant, ils ne se soucient pas du « prix » réel des gens : si vous avez le choix entre une bouteille de vin à 100 € ou une bouteille à 10 € en cadeau, vous choisirez la première, n’est-ce pas ? Le capucin, en revanche, est plus « compréhensif » : il se concentre sur le toucher qui est offert, il traite tout avec passion, sans distinction.
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Nourriture, territoire, relations, pouvoir : certains ont tout, d’autres presque rien. Non, on ne parle pas ici de société humaine mais d’animaux ! Les animaux, les oiseaux et même les invertébrés souffrent comme nous de la douleur d’une répartition inégale des richesses. Entre autres choses : les riches vivent mieux, plus longtemps, se reproduisent plus et leurs enfants sont en meilleure santé. Pour eux, il n’y a ni compte bancaire ni lingots d’or. Leur richesse se compte en ressources naturelles. « On distingue trois types : matériel, social et physique », explique Élise Huchard, chercheuse en écologie à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier.
Au rayon viande, il y a certainement de la nourriture à revendre. Les abeilles consomment du pollen et du miel, tandis que les écureuils consomment des noisettes (voir p. 106). On y trouve aussi des cabanes, des bâtiments ou des outils, comme des barrages de castor ou des bûcherons (voir p. 110). Autre trésor convoité : le vers.
Guêpes, lions, rossignols, « Beaucoup d’animaux ont des territoires et défendent agressivement ce qu’on peut appeler les richesses de la terre », souligne le biologiste et philosophe Georges Chapouthier. Et tous les bâtiments ne sont pas créés égaux ! Certains détiennent un vaste territoire, riche en abris, en eau, en nourriture, tandis que d’autres se contentent d’un lopin de terre. A voir : la superficie des meules peut aller de 30 à plus de 6 000 km2 !
« Il faut faire attention à placer nos références humaines dans les sociétés animales » – FRÉDÉRIC DUCARME, Philosophe et écologiste au Cesco
Viennent ensuite les ressources sociales, peu descriptives, mais tout aussi importantes chez d’autres espèces, comme la physis routière (voir p. 108). Enfin, les facteurs matériels contribuent à l’inégalité la plus évidente. Chez les loups, le mâle dominant est le plus fort, celui qui sort vainqueur du conflit. Chez le pinson du Mexique (Carpodacus mexicanus), un échassier américain, le plus fertile est celui qui a le plus de plumes rouges qui attirent les femelles.
Oui, ces ressources sont jalouses : les écureuils mordent dans les aires protégées de leur voisin, les loups se battent pour leur territoire et les cerfs, pour leurs femelles. Certaines aident leur famille : les femelles araignées vivent dans le nid laissé par leurs parents, tandis que « les mères araignées transmettent leur position à leur fille », poursuit Élise Huchard. Au fil du temps, ces héritages augmentent les inégalités et « entraînent différents bénéfices, en termes de santé, de longévité, de succès reproducteur », explique Eli Strauss, écologiste à l’Institut Max-Planck pour le comportement animal (Constance, Allemagne).
ACTES DE “RÉBELLION”
« On finit par observer des sociétés plus ou moins égalitaires », dit Élise Huchard. Selon le type ou la population, les systèmes royaux sont plus ou moins et basés sur plus ou moins de règles. Et quand ils entrent dans la mer, la rébellion menace ! Les capucins de l’équipe de Laurie Santos (Université de Yale), par exemple, renversent les tables de ceux qui ont reçu une part plus importante qu’eux. Les guêpes papier de Peter Nonacs (Université de Californie) sont agressives envers les femelles avec des pouvoirs qui semblent retirer les œufs des femelles au sol. Pour le sociologue Ivan Chase, « il existe des parallèles remarquables qui sont tirés de ce qui se passe dans les sociétés humaines ».
Attention toutefois à ne pas pousser la comparaison trop loin, prévient Frédéric Ducarme, philosophe et biologiste au Centre d’écologie et des sciences de la conservation (Cesco). « Nous devons être prudents lorsque nous mettons nos archives humaines sur des sociétés animales. Cela ne veut pas dire que certaines sociétés animales sont dominantes, et que l’inégalité des ressources domine, il faut en conclure que c’est naturel. Et que nous devons l’accepter sans hésiter dans nos sociétés. « Chez les gens, l’inégalité est le résultat de la politique et de la société. Ce dont certains profitent, ce que d’autres acceptent, ou peut-être choisissent-ils de se battre… comme avec un animal.