Quelques jours après l’agression d’un praticien à Mulhouse, Karim Tazarourte, président de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) évoque les actes de violence et d’agression dont sont régulièrement victimes les soignants, et leurs conséquences.
Ce ne sont pas seulement les virus que les soignants se retrouvent en première ligne. Tout au long de l’année, le personnel hospitalier est régulièrement confronté à des actes de violence et d’agression de la part des patients et des soignants. Des faits bien connus dans le milieu médical et qui reviennent sans cesse dans les services d’urgence, même s’ils font l’objet d’un petit nombre de plaintes. Après une tendance à la baisse, le nombre d’agressions contre les médecins a recommencé à augmenter en 2021. Un phénomène qui n’a pas nettement disparu durant l’été 2022.
Samedi 27 août, à Mulhouse (Haut-Rhin), un praticien de SOS Médecins a été menacé de mort et abattu avec une arme factice, chargée de balles, lors d’une consultation avec un patient. Par solidarité avec leur collègue, l’antenne locale de la fédération a suspendu toutes les visites à domicile jusqu’à lundi matin.
Huit jours plus tôt, à l’hôpital de Cannes (Alpes-Maritimes), cette fois, une femme ivre a agressé un médecin et une infirmière, à coups de crachats et de coups de poing. Dans la nuit du 15 août, enfin, une infirmière a été abattue et un soignant frappé, à l’hôpital Lapeyronie de Montpellier. Loin des cas isolés.
En réaction à ces attentats dans l’Hérault et le Haut-Rhin, le ministre de la Santé, François Braun, a réagi sur Twitter, condamnant « fermement » ces agissements, ainsi que « toutes les formes de violence à l’encontre des professionnels de santé, ce qui est inacceptable ».
Dans ces cas, c’est encore l’attente associée au retard d’intervention ou de prise en charge du patient qui motive l’action. Karim Tazarourte, président de la Société française de médecine d’urgence (SFMU), revient, dans un entretien au Monde, sur ces agressions qui inquiètent les soignants.
De quoi ces violences sont-elles la traduction ?
Il n’y a pas, comme ailleurs, de phénomène d’agression directe visant à « faire des soignants ». Il se passe quelque chose dans la violence, quelque chose qui doit être caractérisé. À Lyon, cela a produit un projet de recherche clinique hospitalière en 2016, afin de mesurer la violence selon quatre niveaux de gravité. Une échelle qui va de l’impolitesse verbale ou physique (niveau 1) à la violence armée (niveau 4). C’est la classification utilisée par l’Observatoire national des violences en milieu sanitaire (ONVS).
Désormais, nous avons un constat de violence du personnel tous les trois jours. Dans 90% des cas, aux urgences, cette affirmation relève du niveau 1, exceptionnellement du niveau 2. On note également que près de la moitié des comportements violents sont dus aux familles, l’autre venant des patients. Que près de la moitié de ces violences surviennent dans les trente premières minutes – à l’accueil ou dans les couloirs – et sont causées par des personnes qui les accompagnent, tandis que l’autre moitié survient après deux heures de présence – généralement dans les cabinets de consultation – et est le fait de les patients.
Nous savons que l’attente est un déclencheur. Que ce phénomène reflète un état de tension indéniable dans la société. D’autant plus qu’on se heurte aujourd’hui à une partie de la population qui a un niveau de vocabulaire moindre et, de fait, a du mal à exprimer ses sentiments et ses attentes. Les personnes ayant un faible niveau d’instruction et une compréhension limitée de notre système municipal. Ils voient le système de santé comme une boîte noire dont ils ne comprennent pas toujours les règles et certaines situations leur sont insupportables.
Quelles sont les conséquences de ces violences sur le personnel hospitalier ?
L’impact sur les soignants est catastrophique. Beaucoup sont affligés suite à l’effet cumulé des attentats de niveau 1 ou 2, dont le nombre est important et sous-déclaré, au SAMU et aux urgences, car les soignants sont intégrés, dans une certaine mesure. Le nombre d’actes déclarés aux niveaux 3 et 4 n’est pas très élevé, une centaine par an, mais après avoir fait des piqûres, un grand nombre d’aidants quittent également leur carrière avec des troubles anxieux ou de stress post-traumatique.
Parmi ceux qui subissent des violences, on note également des scores élevés d’anxiété et de perte de performance. Ainsi, si vous êtes insulté par un tiers alors que vous soignez un patient dans un état critique, il a été démontré dans le cadre d’une simulation que vous perdez les deux tiers de vos moyens cognitifs de performance, qui dure trente minutes. Les conséquences sur la prise en charge des patients sont graves.
Comment endiguer ce phénomène ?
Les démarches pour porter plainte sont assez lourdes. Le personnel hospitalier n’a pas toujours envie de se déplacer et de personnaliser sa plainte, au risque d’en subir les conséquences.
Comment alors le prémunir en amont pour limiter les conséquences d’une agression verbale ou physique ? En mettant de plus en plus de barrières entre usagers et soignants ? Cela a déjà conduit à des services où il n’y a plus de contact direct entre les deux. Veiller à ce que l’organisation s’occupe directement des aidants ? Lorsqu’un soignant exprime une souffrance suite à une agression, l’organisation, par l’intermédiaire d’un responsable ou du directeur, peut porter plainte à sa place, même si désormais chaque service fait ce qu’il veut. En matière de protection, il y a déjà des agents de sécurité. Mais ces questions méritent un vrai débat.
Nous avons aussi un vrai problème de gestion des temps d’attente, lié en partie à une méconnaissance des systèmes de santé de la part des consommateurs mais aussi à une mauvaise communication de notre part sur les délais d’attente estimés. Les particuliers ont du mal à organiser leur temps d’attente et cela crée de la frustration. Je suppose que nous avons une partie de la violence qui pourrait être évitée si nous parvenions à mieux planifier les itinéraires. Cela nécessite une meilleure information qui pourrait être fournie par les applications mobiles ou d’autres outils à notre disposition.
Enfin, nous avons des patients bouleversés, souvent hors traitement. C’est une autre affaire, bien qu’ils représentent un grand danger pour eux-mêmes et pour les autres.
Donc cette agressivité n’est pas gratuite, elle est principalement due à des usagers qui ne comprennent pas le fonctionnement du système et qui partent dans des gestes de totale frustration face aux restrictions, ainsi qu’à un profil de patient plus large passionnant et pour lequel nos services doivent refaire. équipés de circuits spécifiques. L’hôpital qui était autrefois un sanctuaire – où nous n’étions pas en conflit – devient un lieu comme un autre. Il n’y a pas de mort, mais il y a beaucoup de travail en amont.