En mars 2020, la Nuit de la Solidarité comptait près de 300 personnes dans la rue et environ 3 500 en situation d’urgence à Strasbourg. Après deux ans de pandémie, la précarité dans la capitale européenne s’est aggravée et de nombreux acteurs solidaires sont concernés. Mais qui sont ces Strasbourgeois, ces associations et ces institutions engagées pour aider les plus démunis ? A la sortie de l’hiver dernier, Pokaa a multiplié les relations pour tenter d’esquisser le portrait.Chaque volet de cette série sera dédié à un besoin vital des personnes à la rue. Dans ce troisième chapitre, nous vous amenons à connaître les structures qui vous permettent de répondre à l’une d’entre elles : dormir au refuge.
« Le 115 ? Il est inutile de les appeler. Il n’y a jamais de place. » À Strasbourg, le numéro d’hébergement d’urgence a mauvaise réputation. Il cristallise la colère des personnes en détresse comme des militants associatifs. Son centre d’appel est géré par le Service intégré d’accueil et d’orientation du Bas-Rhin, ou SIAO 67. Situé en plein centre de Strasbourg, derrière une ancienne façade totalement anonyme, sans plaque ni cloche dédiée.
Créée en 2010, cette association de droit local est « une interface entre les personnes en situation de précarité et les structures pouvant proposer un logement d’urgence ou d’insertion », explique Eric Demonsant, son directeur. « Il joue un rôle de switcher, en fonction des besoins de chacun. » Du moins en théorie.
Sommaire
2000 appels par semaine
Car en fait l’établissement « n’est pas une structure d’hébergement », rappelle et insiste son directeur. Il distribue les places disponibles mais ne peut pas en créer de nouvelles. En matière d’hébergement d’urgence, cette compétence appartient à l’Etat – représenté par la Préfecture – puis au département – aujourd’hui Communauté Européenne d’Alsace.
Volontaires, la ville de Strasbourg et l’Eurométropole ont déjà puisé dans leurs budgets respectifs pour en ouvrir près de 400. Mais elles ne peuvent compenser à elles seules le désengagement de l’Etat. Conséquence : le nombre de places ne permet jamais de satisfaire la demande et le SIAO 67 doit gérer la pénurie.
Ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, le 115 a enregistré en mars environ 2 000 appels hebdomadaires d’environ 700 personnes de l’autre côté du Rhin, réitérant souvent plusieurs fois leur demande. Environ 15% d’entre eux sont pourvus. Cela représente entre 100 et 130 refuges par semaine. Pour faire face au manque de places, le SIAO a mis en place un système de rotation : les candidats se voient attribuer une place pour une semaine. Parfois divisé.
Situé dans l’une des salles du SIAO 67, le centre d’appels 115 semble plutôt calme en fin de matinée. Pourtant, une centaine d’appels ont déjà été enregistrés avant 11h00. Le compteur tournera autour de 300 en fin de journée. Avec un pic entre 15h et 16h.
A chaque fois la procédure est la même pour ceux qui se retirent. Demander nom, prénom et enregistrer la demande. Savoir si le numéro de téléphone est dans l’historique, s’il est joint à un fichier. Déterminez si la personne est sans abri depuis longtemps. Regardez le nombre de places disponibles : « C’est aussi et surtout un travail d’écoute, explique Aline*. Pour savoir si la personne est malade. Donnez-lui les informations dont elle a besoin. Parfois, il ne s’agit pas d’une demande d’hébergement : il peut s’agir d’une question sur les horaires d’accueil en journée, ou sur la tournée de rafle. Ou simplement envie de parler, de vider votre sac.
En poste depuis un an et demi, la jeune femme se confie des journées parfois longues. « Parfois, les gens sont fatigués, épuisés. Laissez-les pleurer au téléphone. Ecoutons, essayons de donner du courage. Mais quand il n’y a vraiment pas de place, c’est aussi compliqué pour nous.
“Il n’y a plus de place pour les familles”
Face à la pénurie, certains s’organisent. En plus de la distribution de nourriture, l’association Les Petites Roues finance des nuitées d’hôtel pour les personnes dans le besoin. Un budget mensuel de 2 500 euros en plus des 800 euros pour la nourriture et 800 euros pour l’équipement de bébé – voir la partie I de notre série. Avec des fonds propres, toujours. Développé grâce à des donateurs réguliers et à de petits événements. Et sans subventions.
Si ces refuges pèsent sur les comptes de la structure, ils répondent à un manque structurel pour Sabine Carriou, présidente de l’association. « Il n’y a plus de places pour les familles au 115. Il n’y a plus de place pour les mères célibataires avec leurs enfants », explique-t-il, à l’unisson avec d’autres acteurs solidaires.
Lorsqu’elles viennent en aide à une famille, Les Petites Roues se font un point d’honneur de continuer à financer l’hôtel aussi longtemps que nécessaire. Mais l’intérim peut être long. Et la charge financière que représente cette dépense, mois après mois, complique encore le refuge.
“Ce qui frappe, c’est le nombre de personnes qui travaillent et n’ont pas d’hébergement”
Il n’est pas encore 20h00, par une froide nuit de mi-février. Des hommes attendent déjà devant la Halte Bayard, rue du Rempart, derrière la gare. Fumer une cigarette. Luttez pour garder les yeux ouverts. Créé par l’association Horizon Amité, ce bien n’est pas à proprement parler un hébergement d’urgence. Mais il est possible de passer la nuit au chaud avec l’orientation 115.
« C’est un lieu de refuge, explique Amina Bouchra, directrice générale de l’association. Comme une réception de jour, mais la nuit. Le public n’est pas du tout le même : ce sont, pour beaucoup, des personnes qui travaillent le jour. Ô étudiants ».
Ponctuel, les portes s’ouvrent enfin. Au fond d’une petite cour pavée, une lourde porte s’ouvre sur une grande pièce. Au centre, une demi-douzaine de tables rondes encore vides. D’un côté, quelques anciens postes informatiques en libre-service. De l’autre, une poignée de canapés et de fauteuils disposés autour d’une télé sur Arte.
Les premiers arrivés s’y installent en silence. D’autres parlent doucement près des fenêtres. Parmi ceux-ci, Hamza*, la cinquantaine, déjà arrivé à la Halte il y a 18 mois. « C’est un peu caché ici, un peu loin du centre, explique-t-il. Quand j’ai des ennuis, je viens ici. J’aime que les gens ne me voient pas trop. »
Au fond de la salle, l’équipe d’animateurs et de travailleurs sociaux d’Horizon Amitié prépare des boissons chaudes. Apprenez à connaître les personnes protégées. Il propose un rendez-vous avec ceux qui le souhaitent, en fonction de leurs disponibilités. « Le visage des personnes à la rue a beaucoup changé ces dix dernières années, constate Djamal Bouzid, chef de service à la Halte Bayard.
« Ce n’est plus le SDF qui transporte beaucoup de bagages et ses chiens partout. Il y a tout le public. Et ce qui frappe, c’est le nombre de personnes qui travaillent et qui sont sans abri. Qui n’arrivent pas à se loger. » accueil de nuit, l’association essaie de « comprendre ce qui peut être fait pour éviter qu’ils ne s’installent dans la rue », conclut Amina Bouchra.
Même si le contact n’est pas toujours évident. Ici et là, dans la chambre, des hommes somnolent sur des chaises. Dormir sur le coin du canapé. Épuisé. A 22h30 tout le monde se rassemble pour aider à pousser les tables. C’est l’heure de la distribution des transats.
Chacun a son fauteuil dans le coin. Calez-le avec un sac pour le rendre plus horizontal. Extinction du feu. Les assistantes sociales passent le relais à deux veilleurs de nuit, chargés de surveiller les personnes hébergées et leurs biens. A 6h45 nous devrons partir.
“On doit expliquer qu’on n’appellera pas la police”
« Bonsoir comment allez-vous? » Derrière le comptoir près du guichet d’entrée, Mireille Riny accueille chaleureusement les nouveaux venus. Il est 17h, à l’étage dans le grand bâtiment qui surplombe la Grenze, de l’autre côté de la piste cyclable. Et l’Hébergement d’urgence des Remparts vient d’ouvrir ses portes. Géré par le Centre municipal d’action sociale (CCAS), cet établissement accueille une cinquantaine de personnes tous les soirs d’hiver. Trente en été.
La plupart sont orientés par le SIAO pendant une semaine. Mais certains restent plus longtemps, dans des lits d’urgence longs (LUL). « Ils sont destinés aux personnes qui ne vont vraiment pas bien et qui veulent sortir du système de rotation 115, le temps qu’elles se reposent, recouvrent la santé », explique l’assistante sociale. Une commission se réunit chaque lundi matin pour décider de leur affectation.
Aux Remparts depuis près de 25 ans, Mireille Riny connaît bien les lieux et les habitués. Discuter. Rassurer. Informer. « Demain ? Attends, vérifie… non non ! Tu es encore avec nous pour encore deux jours ! » Parfois même en plaisantant… Avec Gégé par exemple… Logé dans l’une des 16 LUL de la structure pendant quatre semaines… Originaire du nord de la France, l’homme est arrivé à Strasbourg début décembre après avoir beaucoup voyagé.
« En dix ans dans la rue, c’était la première fois que je composais le 115 », se souvient-il. J’étais fatigué, j’avais froid et j’avais peur de ne pas résister. Installé dans un hôtel du SIAO, puis quelques nuits à la Halte Bayard, Gégé franchit enfin la porte des Remparts en février. « Ici, l’ambiance est bonne. Et c’est vraiment plus relaxant », explique celui qui suit une formation pour trouver du travail et juge qu’il n’a jamais été aussi bien suivi et aidé qu’à Strasbourg.
Nouvel échange de teasing avec Gégé et Mireille poursuit la visite en expliquant l’importance de ces échanges de lumière. « Une journée est difficile. Il faut être capable de résister, mentalement et physiquement. On fait ce qu’on peut pour qu’il change d’avis. Les aider à. Parce que ce n’est pas vraiment facile de garder la motivation.
Travailleuse sociale depuis près de trente ans, elle aussi a remarqué une évolution dans le public. « Nous accueillons de plus en plus de demandeurs d’asile, explique-t-il. Il existe cependant des structures spécifiques pour les accueillir : les CADA (centres d’accueil pour demandeurs d’asile). Mais là encore, les places sont rares et particulièrement difficiles à obtenir. L’hébergement d’urgence est un dernier recours.
En France, le code de l’action sociale et des familles prévoit qu’elle doit être garantie à « toute personne sans domicile en situation de détresse médicale, psychologique ou sociale ». Si cette personne est française ou d’origine étrangère, avec ou sans titre de séjour. C’est une obligation légale de l’Etat.
En effet, les personnes d’origine étrangère ont parfois peur de parler de leur situation. « En ce moment, nous accueillons un monsieur qui devrait être demandeur d’asile. Mais il ne veut rien nous dire », poursuit Mireille. Une situation qui est loin d’être unique. « Nous devons souvent expliquer que nous n’appellerons pas la police pour que les gens acceptent de nous raconter leur histoire. »
Certains persistent cependant à garder le silence et les travailleurs sociaux n’insistent pas. « Nous savons qu’ils passent souvent par différents endroits avant de nous atteindre. Qui ont répété encore et encore tout ce qui aurait pu leur arriver, ce qui est parfois très difficile.
22:00 C’est l’heure de la dernière cigarette pour les personnes qui restent. Ou des arrivées récentes. Un homme passe timidement la tête dans le bureau où parle Mireille. « Je ne voulais pas déranger. » « Mais pas du tout ! Dis-moi ? « Je suis venu vous saluer. J’ai été appelé pour un poste à la CADA. « Mais c’est super ! C’est une bonne nouvelle ! » « Oui ! Je voulais juste dire merci.
* Les noms ont été changés.