Maladie d’Alzheimer : au début d’un nouveau traitement, trois décennies de recherche intensive

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C’est la quête du siècle. Soigner un jour la maladie d’Alzheimer, cette terrible maladie du cerveau qui prive les gens de ce bien précieux qu’est la mémoire des choses et de leurs proches. Alzheimer, c’est 55 millions de patients dans le monde ; 1,3 million en France ; trente ans de recherche; tester des molécules par centaines, mais aucun résultat. Jusqu’au 28 septembre dernier, lorsqu’un communiqué de presse des sociétés pharmaceutiques Biogen (USA) et Eisai (Japon) a finalement fait naître l’espoir. Pour la première fois, un médicament, le lecanemab, testé sur une période de dix-huit mois, a montré un effet validé sur les patients.

Oh, un tout petit effet. « Le déclin cognitif des patients a été ralenti, et cela se mesure, même s’il n’a pas beaucoup changé dans leur vie quotidienne. Mais ça pourrait être le début de quelque chose », estime prudemment le docteur Nicolas Villain, médecin et chercheur à la Pitié-Salpêtrière à Paris. Les patients qui ont participé à l’essai clinique, de leur côté, espèrent gagner du temps avant que la maladie d’Alzheimer ne vienne tout anéantir…  » dit-il à la lettre spéciale STAT. Grâce au médicament, ce consultant en aviation à la retraite veut pouvoir à nouveau lire et écrire, profiter de sa femme, de ses enfants et petits-enfants. Combattre quelques instants de répit.

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Peu spectaculaire, l’essai clinique avec le lecanemab n’en est pas moins historique. Il y a cent seize ans, cette pathologie neurodégénérative était décrite par le neurologue allemand Alois Alzheimer à partir de fines tranches d’un cerveau autopsié. C’est le début d’une très longue course, où vraies découvertes et faux espoirs, méga-investissements et chocs boursiers se sont mêlés sur fond d’urgence planétaire.

Sommaire

​Susceptibilité génétique 

« Les cas se multiplient partout dans le monde, au nord comme au sud, constate le professeur Frédéric Blanc, neurologue au Centre de la mémoire des Hôpitaux universitaires de Strasbourg. La Chine, par exemple, s’attend à être débordée. Cinquante millions de Chinois pourraient être touchés ». d’ici 2050. Vraiment… fou. « La France est diagnostiquée avec 225 000 nouveaux cas chaque année, et à ce rythme la barre des 3 millions sera dépassée en 2030. Des groupes de patients énormes et une question brûlante : quelle en est la cause – ou quoi sont les causes – de la maladie d’Alzheimer ? Et pourquoi est-ce si difficile à traiter ?

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Traiter, c’est d’abord diagnostiquer. Pour la maladie d’Alzheimer, cependant, ce n’est pas une évidence. Souffrir de pertes de mémoire de plus en plus invalidantes, perdre progressivement ses fonctions cognitives : ce sont évidemment des signes inquiétants, d’autant plus que l’on vieillit. Mais il existe d’autres démences et lésions vasculaires. Alors, comment savez-vous? « Jusqu’à il y a dix ans, le diagnostic reposait uniquement sur l’examen clinique, explique le professeur Sylvain Lehmann, du département de médecine régénérative et biothérapie de l’université de Montpellier. Nous n’avions pas de marqueurs biologiques de la maladie ni d’imagerie spécialisée pour nous aider. Mais une fois le patient décédé, nous pouvions en être sûrs. L’examen de son cerveau a montré qu’il avait en fait la maladie d’Alzheimer. »

Comment l’hypothèse de la cascade a dominé le monde de la recherche

Les cliniciens d’aujourd’hui retrouvent lors d’autopsies ce qu’Aloïs Alzheimer avait découvert dans le cerveau de son patient Auguste Deter, mort de démence à l’âge de 51 ans à l’hôpital de Francfort : des amas de matière formant des plaques dans le cortex cérébral et l’hippocampe ; et, situés dans les neurones eux-mêmes, des enchevêtrements de fibres. Au début du 20ème siècle, on parlait de « plaques séniles ». Nous avons depuis découvert de quoi ils étaient faits. Les amas sont créés par l’accumulation anormale d’une protéine appelée « bêta-amyloïde ». Quant aux filaments dans les neurones, ils sont dus au dysfonctionnement d’une autre protéine, « tau ». Ces deux agrégats altèrent significativement le bon fonctionnement du cerveau : des plaques amyloïdes se déposent dans la matière grise du cortex cérébral, notamment dans l’hippocampe, siège de la mémoire, qui se rétrécit. Et les fibres perturbent le flux des neurotransmetteurs, ce qui contribue à la mort des neurones (phénomène appelé « dégénérescence neurofibrillaire »).

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AN-1792, un échec cinglant

Bêta-amyloïde et tau : voici les deux principaux suspects sur lesquels travaillent depuis maintenant trente ans les meilleurs éclaireurs de la recherche médicale mondiale. Dans les années 1990, la maladie d’Alzheimer pèse de plus en plus sur le quotidien des malades et de leurs proches et sur les économies des pays riches et vieillissants. Les scientifiques ont fait plusieurs découvertes importantes au cours de ces années. Premièrement, qu’il existe une susceptibilité génétique à la maladie d’Alzheimer. Les personnes porteuses d’une certaine version du gène ApoE4 sont plus à risque de développer la maladie (ce qui ne veut pas dire qu’elles l’auront nécessairement). Ensuite, il produit un autre gène, appelé APP, les fameux dépôts nocifs de bêta-amyloïde dans le cerveau. « Le gène APP est situé sur le chromosome 21, le même que l’on retrouve en trois exemplaires chez les trisomiques 21. Ces personnes produisent donc beaucoup de protéine bêta-amyloïde et elles sont beaucoup plus souvent touchées par la maladie », explique Sylvain Lehmann.

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CQFD ? Pas vraiment. Certes, les patients atteints d’Alzheimer ont des plaques amyloïdes dans le cerveau. Mais est-ce vraiment la cause de leur pathologie ? Car on retrouve aussi ces amas dans le cerveau des personnes non démentes… La chose va devenir très complexe. Pour avancer, de grands noms des neurosciences et de la génétique avancent une hypothèse basée sur la présence de plaques dans le cerveau, mais qui intègre d’autres facteurs. Il s’agit de la « cascade amyloïde » décrite en 1991 par John Hardy de l’University College de Londres. L’idée générale est que l’accumulation de bêta-amyloïde dans le cerveau est en fait le déclencheur de la maladie d’Alzheimer. La protéine est sous une certaine forme, « plus longue » que la normale, pour s’agréger en plaques toxiques pour les neurones. L’inflammation qui en résulte entraînera en cascade une dérégulation de la protéine tau, ce qui aggrave encore le tableau clinique et les troubles cognitifs.

L’hypothèse de la « cascade » dominera la recherche sur la maladie d’Alzheimer dans les années 2000 et 2010. Un règne sans partage. « C’était l’église Saint-Amyloïde », raille un chercheur de la revue Nature Medicine. Les positions, les crédits et les publications dans les principales revues vont à ceux qui travaillent sur la théorie dominante, tandis que les chercheurs explorant d’autres possibilités sont négligés. Néanmoins : la piste amyloïde, avec ses coupables désignés, permet de lancer la course aux traitements. Car si la protéine bêta-amyloïde est la cause première de la pathologie, il suffit de la retirer pour stopper la dégradation cognitive et même se débarrasser de la maladie ! Au début des années 2000, les premières expériences de nettoyage du cerveau sur des souris ont fonctionné. A-t-on enfin trouvé le Saint Graal contre la maladie d’Alzheimer ?

À l’heure actuelle, ces quatre médicaments symptomatiques sont les seuls que peuvent proposer les médecins à leurs nombreux patients en début de maladie ­d’Alzheimer ou qui en sont à un stade plus avancé. Et depuis 2018, en France, ils ne sont plus remboursés… Ainsi en a décidé la Haute Autorité de santé au vu de leurs résultats modestes. « Nous sommes le seul pays qui a déremboursé, parce qu’un professeur parisien avec de l’entregent pensait que ces produits n’étaient pas utiles », s’insurge Frédéric Blanc.

« Nos patients sont les moins bien traités d’Europe, renchérit la professeure Claire Paquet, directrice du centre de neurologie cognitive à l’hôpital ­Lariboisière – Fernand-Widal. Je continue pour ma part à prescrire ces molécules, à la charge financière des malades. Même si cela ne fonctionne pas chez tout le monde, ces médicaments ont bel et bien un petit effet sur la cognition. Par exemple, pour être un peu plus attentif. Ou, lors d’un repas de famille, pour pouvoir suivre plus longtemps une discussion. » Effet pervers du déremboursement : à la place de ces molécules, les médecins prescrivent à tour de bras neuroleptiques et benzodiazépines (somnifères et anxiolytiques), des produits dont l’usage est corrélé à la survenue de démences…

Fin 2001, 300 volontaires ont testé un tout premier médicament destiné à éliminer la plaque dentaire, l’AN-1792, fabriqué par la société irlandaise Elan. C’est une molécule synthétique qui vise à activer le système immunitaire des patients pour détruire les dépôts de bêta-amyloïde. Si la première phase se passe normalement, la phase II est un désastre. Dix-huit patients développent une encéphalite potentiellement mortelle et l’essai clinique s’est arrêté net. Le suivi des patients révélera plus tard que si les plaques ont été réduites chez certains participants, cela n’a pas empêché la détérioration de leurs capacités cognitives. Échec cuisant !

Pas de quoi décourager les chercheurs. Au cours des années suivantes, les études cliniques vont se multiplier. Mais pas les résultats. Sur 400 molécules testées, seules quelques-unes atteignent le stade où l’efficacité d’un principe actif est évaluée en le comparant à un placebo : l’essai clinique de phase III. Et pourtant, ces produits ne traitent pas la cause de la maladie d’Alzheimer, seulement ses symptômes. Donépézil, galantamine, rivastigmine… Ces trois médicaments reconstruisent le cerveau des patients dépourvus d’un neurotransmetteur, l’acétylcholine, bénéfique pour la mémoire. Une autre molécule, la mémantine, réduit l’abondance d’un autre neurotransmetteur, le glutamate, dans le cerveau des patients.

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Nous sommes le seul pays à avoir remboursé

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Retour aux années 2010. Sur le front principal – la recherche d’une molécule capable de cibler la cause de la maladie d’Alzheimer – c’est une sombre plaine. Les uns après les autres, les candidats-médicaments échouent dans les essais cliniques. Ceux qui ne croient pas, ou pas du tout, à la piste amyloïde se font entendre. Et poser de nouvelles questions. Les plaques sont-elles la cause ou la conséquence de la maladie ? La protéine tau ne joue-t-elle pas un rôle aussi important, sinon plus, que la bêta-amyloïde ? Qu’en est-il de l’inflammation cérébrale? Existe-t-il une piste virale ? Et quelle influence a l’environnement (pollution, pesticides, aluminium) ? « Il est clair qu’on s’est trop concentré sur la seule protéine bêta-amyloïde », commente Frédéric Blanc. Mais c’est bien l’un des objectifs – mais pas le seul – de pouvoir soigner un jour la maladie d’Alzheimer. »

​Les anticorps monoclonaux, molécules de l’espoir 

Dans les premières études, 20 à 30% des patients souffraient d’autres maladies du cerveau, on pouvait le sentir à leur mort, lors des autopsies

La suite lui donne raison. Au cours des dix dernières années, on a d’abord compris pourquoi tant d’essais cliniques avaient échoué : tout simplement parce que les patients enrôlés n’étaient pas forcément des malades d’Alzheimer. « Dans les premières études, 20 à 30 % des patients souffraient d’autres maladies du cerveau, on pouvait dire quand ils mouraient lors des autopsies », rappelle Sylvain Lehmann. Aujourd’hui, de nouveaux outils de diagnostic permettent d’éviter de se tromper : Plaques et fibres peuvent être détectées du vivant grâce à une ponction lombaire ou par une imagerie cérébrale spécialisée (PET scan). Deuxièmement, les essais habituels de nouveaux médicaments financés par l’industrie pharmaceutique ne conviennent pas à la maladie d’Alzheimer. « Au début, les labos s’en tenaient à une durée de six mois. Mais pour une maladie aussi longue – trente-cinq ans entre le premier traumatisme crânien et le décès – cela n’a pas beaucoup de sens. Nous avons inclus des patients déjà très touchés. , en plus d’une éventuelle récupération cognitive », note Frédéric Blanc.

L’industrie a changé de ton et aujourd’hui les enquêtes durent un an et demi. « Dans l’idéal, ça prendrait quatre ans. Mais ça coûte », renchérit le professeur Blanc. En fait… Entre 500 millions et 1 milliard de dollars pour développer une molécule, avec passage obligatoire des Etats-Unis pour des essais cliniques pour s’attirer les bonnes grâces. de la Food and Drug Administration (FDA), qui délivre les autorisations de mise sur le marché.

L’argent, voici un autre élément clé. Les coûts de recherche et de développement sont énormes, mais les perspectives de marché pour un médicament qui parvient à prouver son efficacité contre la maladie d’Alzheimer sont vertigineuses. Sans compter que chaque information positive est l’occasion de mouvements boursiers juteux… Le 7 juin 2021, à Wall Street, la séance est bousculée : l’action de la société Biogen progresse de 38,34 %, au point que la cotation doit être suspendu en raison de mouvements spéculatifs. La société vient d’annoncer qu’elle a obtenu l’agrément de la FDA pour commercialiser son aducanumab, une molécule contre les plaques amyloïdes, qui selon elle ralentit le déclin des patients. Prix ​​proposé par le laboratoire : 56 000 dollars par an et par patient, un montant qui quelques semaines plus tard sera abaissé à 28 000 dollars. Mais Biogen ne pourra pas encaisser cet argent. Parce que toute l’affaire tourne au fiasco ! « Les études ont montré des résultats mitigés. Il aurait fallu les poursuivre pour savoir à quoi s’attendre. Mais sans attendre, la FDA a donné une sorte de décharge à l’aducanumab, une autorisation conditionnelle pour réaliser une nouvelle expérience », explique Frédéric Blanc. décision tourne mal, la FDA est critiquée, l’Europe refuse de commercialiser, et Biogen finira par retirer son médicament de la vente.

L’échec de l’aducanumab aura quand même fait bouger les choses. Car bien que les essais aient été arrêtés trop rapidement, ils ont montré tout l’intérêt d’une famille de molécules dont le nom se termine par « mab ». Ce sont des anticorps monoclonaux (« mab » pour « anticorps monoclonaux ») qui agissent comme des vaccins thérapeutiques : ils stimulent les cellules protectrices de notre système immunitaire pour détruire les plaques amyloïdes et faire baisser le taux de protéine tau. A la clé peut-être une amélioration de l’état cognitif des malades d’Alzheimer à la stricte condition que leur maladie ne soit pas trop avancée.

Dans dix à quinze ans nous aurons des traitements intéressants