L’Echo Touristique : Nathalie Eh bien, qui es-tu ?
Nathalie Bueno : Une femme, libre. Une femme qui se bat, qui entreprend, qui vient de la Méditerranée avec des racines très profondes. Je suis aussi une femme très reconnaissante pour ce que ma vie personnelle et professionnelle m’a apporté en termes de cadeaux, mais aussi en termes de drame.
Nathalie Bueno : Le nom vient probablement d’Espagne. Mais mes grands-parents sont nés et ont vécu en Italie. Comme une grande partie de la communauté juive italienne, ils l’ont quittée au temps de Mussolini pour s’installer en Tunisie. Mes racines viennent de Tunisie, d’Italie, avec un peu de sang rouge espagnol. Mes parents se sont rencontrés en Tunisie, qui est vraiment le berceau de la famille.
natalia bueno : non Cette question m’inquiète. Je ne suis pas intrinsèquement religieux, je suis attaché aux traditions, à la culture de ma famille. J’aime cette idée de transmission, après celle d’une force supérieure… Enfin, je ne crois qu’en notre force personnelle et humaine.
Je crois profondément en l’humanité.
Pour faire le lien avec le tourisme, la croyance va-t-elle de pair avec le tourisme ?
Natalia Bueno : Oui, si l’on considère que cette industrie et ce métier nous offrent une incroyable opportunité de s’ouvrir aux autres, de recevoir et de donner, cela donne une vision positive de l’humanité. Je crois profondément en l’humanité. Le tourisme est un pont extraordinaire entre les gens, les cultures, les visions. C’est à cette richesse que je crois.
Vous avez parlé de votre famille, vous venez toujours d’une famille de tourisme. Qu’est-ce qui vous a donné envie de continuer ?
Nathalie Bueno : Bien sûr. Je suis tombé dans le tout petit pot. Je crois avoir participé à IFTM-Top Resa depuis sa création. J’étais le plus jeune à marcher dans les couloirs. C’étaient les plus beaux week-ends que ma mère pouvait m’offrir, j’allais à ses soirées et je faisais du room service à l’hôtel. Exceptionnel! Cependant, je n’étais pas prédestiné à travailler dans le tourisme, même si j’aime voyager.
Une gouvernante en petite classe avait dit à ma mère, qui venait s’excuser d’une éventuelle absence en raison d’un voyage : « vous faîtes très bien, elle apprendra dix fois plus en voyageant qu’en restante sur les bancs de l « L’école ». Cette petite voix a toujours été dans ma tête et je suis sûr que c’est un terrain de jeu exceptionnel pour apprendre. Pourtant, j’ai eu un diplôme universitaire tout à fait classique : une maîtrise en gestion économique et sociale suivie d’un diplôme d’études supérieures en marketing aux Arts et Métiers.Je rêvais de travailler dans la communication, j’étais sur la shortlist pour rejoindre L’Oréal.La guerre du Golfe éclate, les budgets de communication sont gelés et on m’a gentiment interdit de recruter.
Ce qui compte le plus pour moi, c’est l’autonomie.
Nathalie Bueno : Par l’intermédiaire d’une amie de ma mère, directrice du réseau Fnac Voyages, je suis ensuite entrée au siège, au service comptabilité. Au bout de quelques mois, je suis allé dans une agence de voyage, à la Fnac rue de Rennes. J’étais un piètre technicien mais un excellent vendeur. Cependant, la relation B2B m’intéressait beaucoup plus. J’étais motivé par des défis commerciaux… ne serait-ce que pour gagner une nuit d’hôtel. Au bout d’un an, Fnac Voyages m’a demandé d’ouvrir des ventes de voyages sur minitel. Nous avons vendu des tournées culturelles sur un outil de distribution de billets de spectacles, Billet Tél. Il fallait décrire une tournée en un nombre de lignes équivalent à un spectacle. A la fin du trajet, le message « il n’y a plus de place sur le balcon » pouvait apparaître. L’outil n’était pas très adapté. Finalement, je suis resté parce que voyager est un virus qui ne se guérit jamais. Fascinant, avec une ouverture sur le monde sans limites. J’ai ensuite élargi mes horizons au sein du groupe Sun à l’île Maurice, en tant que responsable des ventes pour les marchés français et belge. C’est principalement là que j’ai appris mes cours, l’art oratoire, l’hôtellerie, l’accueil, le sens aigu du service. Mon goût pour le luxe est né avec cette expérience qui a duré 5 ans.
Puis je suis allé chez Accor pour créer la direction commerciale de la distribution de l’hôtellerie de loisirs du groupe qui, à l’époque, reposait sur deux marques : Coralia et Thalassa. J’ai vu les joies et les peines du grand groupe. Les joies sont des moyens. La grande douleur est que nous sommes sur un rouleau compresseur. Nous aimions diviser pour garder le pouvoir toujours sur les mêmes têtes. Il m’a fallu un an pour obtenir un point de vente, les processus étaient longs et complexes. La nouvelle direction de Sun en France m’a recontacté. Le groupe envisageait de créer un tour opérateur et ils m’ont demandé d’en reprendre la direction commerciale. Et le voilà parti pour 17 ans d’une folle aventure.
Vous vous êtes lancé avec François Xavier de Boüard dans la création de TO Secrets de Voyages, dédié au voyage de luxe. Dans la situation actuelle, est-ce vraiment raisonnable ?
Nathalie Bueno : Certes, la situation économique nous a moins touchés que les autres. Cependant, l’envie de voyager est restée. Les clients ont même augmenté leur budget pour contourner les obstacles. A l’heure où le monde était confiné (avec quasiment aucun vol programmé, ndlr), certains ont affrété leurs propres avions ou changé d’aéroport de départ pour continuer à voyager.
J’en profite pour exprimer ma gratitude à François Xavier, que j’ai rencontré lorsqu’il était président de Selectour… Les portes du réseau se sont fermées pour Solea : elle nous avait promis de nous faire référencer, et elle l’a fait.
Je pense qu’il a toujours cru en mes capacités et mes qualités professionnelles. C’était la seule chose qui comptait pour moi. Vous connaissez le syndrome de l’imposteur que beaucoup de femmes peuvent avoir (rires). Il est l’un des rares, du moins le premier, à ne pas me laisser l’entendre.
Ce qui nous amène à Travel Secrets…
Nathalie Bueno : Quand François Xavier m’a proposé de faire affaire avec lui, quand il a pu se retirer sereinement, c’était extraordinaire. Ce qui m’a aussi fait comprendre quelque chose d’essentiel, la différence entre autonomie et liberté. A Solea j’avais 100% d’autonomie et relativement peu de liberté. Dans le deuxième groupe mauricien pour lequel j’ai travaillé, j’avais 100% de liberté et peu d’autonomie. Aujourd’hui, ce qui compte le plus pour moi, c’est l’autonomie. Notre complémentarité fait la force de notre duo !
Vous êtes PDG et membre de l’Association des Femmes du Tourisme. Comment concevez-vous les femmes dans ce secteur dirigé par des hommes ?
Nathalie Bueno : Nous sommes dans un secteur à prédominance féminine où la place des femmes est relativement minime, avec des parcours professionnels très variables. C’est encore la hauteur. Aujourd’hui, mon investissement dans l’association Femmes du Tourisme n’est pas militant. Je ne suis pas une combattante du féminisme, mais je suis une combattante pour la reconnaissance du travail et des compétences.
L’association est importante dans mon quotidien car c’est une incroyable source de talents, qui nous permet de nous rencontrer et d’échanger sur différents sujets : bonnes pratiques professionnelles, problématiques féminines entre vie professionnelle et vie personnelle… Lors du récent voyage en Croatie, j’ai rencontré de jeunes femmes leaders. Nous avons un vrai rôle de transmission à jouer.
Un message pour les femmes iraniennes ?
Nathalie Bueno : Continuez à vous battre, vous ne perdez jamais. Vous êtes l’expression de la lumière. Au coeur de ces ténèbres, j’admire ta force et ta volonté.
Un ministre du tourisme, est-ce suffisant ?
Nathalie Bueno : Un ministre compétent, oui, c’est bien.
Nathalie, la vie, avec ses joies, ses échecs, qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Nathalie Bueno : La vie, pour moi, a été pleine de joies incommensurables. Et une tristesse tout aussi grande. J’en ai eu trois dans ma vie, ce qui explique peut-être qui je suis et comment je fonctionne.
J’ai perdu un fils à neuf mois de grossesse. Il y a un avant et un après dans ma vie. J’ai perdu mon père six mois plus tard. Il y a aussi un avant et un après. Tout récemment, celui qui était mon compagnon de voyage, un ami depuis 40 ans, est mort devant moi sur la plage…
Malgré cela, je suis toujours debout ! Je pense avoir un élan vital extrêmement fort ancré en moi, probablement depuis que je suis petit. J’ai été opérée à cœur ouvert très jeune et pendant six mois j’ai été séparée de mes parents qui ne pouvaient venir me voir que le dimanche. Marque…
La séparation d’avec les personnes qui comptaient le plus dans ma vie sont des bouleversements que je n’oublierai jamais.
Et pourtant, je me suis levé, j’ai continué d’avancer, je me suis battu… Ma fille est arrivée, miraculeusement : je l’ai nommée Salomé, ce qui veut dire Fée. Elle m’a donné, à sa manière, la foi en tout et j’espère la lui transmettre.
Dans ma vie, j’ai croisé une suite de gens que je ne soupçonnais pas. C’est aussi ce dont je suis reconnaissant.
Vous savez, j’ai récemment reçu une petite bande dessinée. Deux jeunes femmes se tiennent la main, l’une dans la lumière, l’autre dans l’obscurité. Celui qui est dans la lumière attire celui qui est dans l’obscurité en lui disant « le passé c’est pour apprendre… pas pour vivre ».