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44 ans que les Transmusicales de Rennes sont aux avant-postes et épatent, ouvrent, libèrent, proposent. Après un relatif et attendu retour à la normale l’année passée, on voyait arriver cette édition comme une occasion d‘y aller franchement, de planter de nouveaux clous, de continuer d’affirmer son goût et son talent pour les découvertes. L’occasion de vérifier que ça vaut le coup de sortir de chez soi avec des températures en dessous de 0°C.
Jour 1. Jeudi 8 décembre. 20h53, c’est reparti
Ce jeudi soir on se gèle la peau en attendant le bus pour Parc Expo depuis le centre de Rennes. Il y en a toutes les 10 minutes (toutes les 5 minutes les deux prochains jours), mais il y a déjà la file d’attente (c’est pas si gros, un bus) et dans les odeurs et les lumières de la foire qui gambade place du Champ de Mars, y’en a assez le temps d’anticiper une bonne soirée glaciale qui s’annonce. Le festival a commencé la veille, l’après-midi il se passe des choses en ville comme dans certaines communes métropolitaines, sans oublier Bars en Trans, devenu depuis quelques temps un festival à part entière. De notre côté, on se concentre sur la programmation du Parc Expo, pour les 3 jours habituels d’éclectisme libéré qui marquent le début du mois de décembre. 
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21h10, embrayage à la meuleuse
Après avoir atterri à Saint-Jacques-de-la-Lande et ses salles métalliques si chaleureuses, sans prendre le temps de regarder le décor ni de modifier l’agencement, on passe directement au premier concert… En l’occurrence, celui de le groupe congolais Kin’Gongolo Kiniata, mais le set est déjà en préparation et nous avons clairement raté l’occasion de nous plonger dans leur musique.
22h23, Jojo Abot et Courtoisie pour enfoncer le clou
Soyons honnêtes, nous commençons ces Trans de manière un peu grincheuse. Le problème des rituels est qu’ils génèrent des automatismes. Alors que le terme de Trance approche, on se souvient qu’il sera composé de nombreux vagabonds incessants jusqu’à l’aube, dans la fraîcheur de début décembre, entre des salles impersonnelles, au son trop fort, buvant de la mauvaise bière. Il y a une page « pourquoi sommes-nous encore ici ? » qui pointe. Bon, il ne faut pas longtemps pour que l’ambiance grincheuse se calme immédiatement avec le premier concert, qui s’avère très bon : Meule (photo). Trippy, brut, fort, pas lisse. Un voyage dans un univers cohérent et profond, avec des jeux de rythmes, des sonorités rétro-futuristes… nous qui avons arrêté d’avance le ballet blasé d’une salle à l’autre, picorant des bribes du concert, ici déjà nous serons heureux de rester tout le temps la collection du premier groupe est un bon signe.
23h15, voyages atypiques
On a remarqué que les food trucks habituellement installés devant le hall 3 laissaient place à deux stands – un avec de la cuisine turque qui a l’air délicieuse et une crêperie avec une crêpe saucisse à 4,50 €, ça doit vraiment plaire. Dans le Hall 8, c’est l’occasion de voir si oui, en 2022 il y a encore des jeunes qui pensent que venir à une soirée déguisé en bouteille de bière est une trop bonne idée. Bientôt arrive Jojo Abot (photo), un Ghanéen vivant à New York, qui révèle un style complexe mais très maîtrisé, un thème construit et une forte présence scénique. Dommage qu’il n’y ait pas plus de musiciens. Nous nous retrouvons alors à errer dans la Greenroom, ce qui n’est généralement pas notre tasse de thé. Ça commence tôt avec le duo Courtoisie de Rennes, qui crée une musique très cinématographique, saturée de couleurs profondes et de mélodies synthétiques aux textures très organiques.
Le clou attendu de la soirée sera sans doute le concert d’Astereotypie, porté par la hype autour du titre étonnant « Aucun homme ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme ». Et en fait, c’est un moment pittoresque pas comme les autres. L’écriture et la formule musicale, déjà originales, sont décuplées par une interprétation complètement habitée. « Rock autiste » ou pas, c’est brut, prolifique, émancipé, hors cadre, en prise directe… et il ne faut même pas l’aimer : c’est quand même percutant et assez unique.
00h48, Dalle béton dégèle la place des fêtes
En guise de chambre de décompression, on se détend en écoutant une sélection bien emballée de « Big Kosmo del Mundo », une combinaison de trois DJ habitués de la Trans, réunis pour assurer des intersets hall 8 durant ces 3 jours. Vient ensuite le nouveau travail d’Agoria (photo), une immersion électronique au graphisme englobant, électrisant et fluide… C’est beau, inventif, organique. Bon, décidément, pour une première nuit, c’est quand même pas mal.
Jour 2. Vendredi 8 décembre. 20h37, fantômes joyeux dans le décor de zone industrielle et culturelle
Bon Dieu, ça pèle très fort, il faut être motivé… et on ne peut que sympathiser un peu avec les musiciens de Dalle Béton qui joueront dehors deux ou trois fois par soir, dans un événement improbable et fou comme une renaise de scène en fait apparaissent régulièrement. Boîte à rythme, synthé, basse, guitare, samples et une voix hurlante, des morceaux de danse avec un thème social sarcastique, avec en prime un gars en tant qu’ouvrier qui fait du béton en direct… c’est très amusant et des morceaux comme « CPF » sont déjà d hits. Aussi, est-ce moi ou y a-t-il une grosse présence française de très grande qualité sur cette émission 2022 ? Sans oublier la scène bretonne elle-même, qui produit presque chaque année des moments de transe qui n’ont pas besoin de s’effacer devant une sensation venue de l’autre bout de la planète. Après tout ça, on fait un dernier tour de son pour la forme : Koboykex pas très convaincant, puis Rein, plus séduisant, mais bon, on bosse demain et on revient à -5°.
21h27, reprise des hostilités entre noise et afro-trap
Le deuxième soir, nous avons pris plus de temps pour atterrir sur place. Pas de changement dans les bases de l’agencement des salles, un grand îlot destiné à la restauration, au repos, aux festins, mais aussi à l’information, à la prévention, à l’exposition photographique, etc… et puis d’autres salles avec musique au centre et bars ou stands de restauration hors des sentiers battus. Il est clair qu’il est définitivement impossible que ces espaces soient réellement conviviaux. L’effort est, hein, la déco est personnalisée, sympa, fonctionnelle, mais bon, c’est structurel, ces grands espaces sont par nature froids et impersonnels.
22h15, Jazz Erythréen et post-punk from Brighton
Dans le Hall 9 (le plus grand), qui vient d’ouvrir ce soir, l’Allemand congolais Albi X (photo) joue des remplaçants plus que convaincants. On ne sait pas combien donnerait le titulaire, mais ici c’est groovy, énergique, bien fait et servi par des musiciens visiblement ravis d’être là. Sans aucun regret !
00h02, Kid Kapichi, enfin de la fièvre grand format
On commence à pénétrer au cœur de ce qu’est la transe : une invitation annuelle à des formes d’expressions culturelles inattendues émergeant des quatre coins du monde, des appropriations personnelles dans un creuset bouillonnant. Première illustration avec le trompettiste Hermon Méhari (photo) et son jazz ensoleillé teinté d’influences érythréennes. Mettant en vedette la merveilleuse Dehab Faytinga en guest star, cette chanteuse qui fait planer votre âme instantanément. L’ensemble est peut-être un peu trop astucieux, mais reste très réussi, très beau. Dans un tout autre registre, les jeunes Anglais de Porchlight font vibrer un rock plein de textures et de méandres, de grooves et d’explosions, encore en herbe mais plutôt prometteur. L’éclair dans la poêle ou le germe du grand groove ? Avec Trans, on ne sait jamais vraiment.
La prochaine rencontre est également britannique et franchement plus frontale, avec Kid Kapichi (photo). La capacité de se rendre compte que si la foule semblait modérée hier et en début de soirée, elle commence maintenant à bien se remplir, même dans un espace gigantesque comme celui-ci. Les jeunes de Hastings sont en très bonne forme, véhiculant un message très optimiste sur la condition de la classe ouvrière anglaise avec une stature irréprochable et une énergie qui fait plaisir à voir. On ne peut pas dire que c’est une claque comme l’an dernier avec leurs potes Bob Vylan, mais ça tient assurément. Peut-être que le public n’est pas aussi excité qu’il le mérite.
02h25, sono mondiale non formatée avec Ayom et Quinzequinze
Bien plus décevants, les Israéliens de Satellites et leur rétro-pop psychédélique turque. Là l’accord est un peu trop gros et la comparaison avec la découverte éclatante d’il y a quelques années Altin Gün n’est pas en faveur des successeurs : les mêmes instruments, les mêmes types d’arrangements, de sonorités, d’approche, mais même avec un super vocaliste la sauce ne marche pas, il lui manque ce qui fait le charme d’un groupe inspiré.
04h12, en attendant Guillaume
Le reste de la soirée, comme d’habitude en Trance : des propositions musicales hybrides, des potions issues de traditions plus ou moins lointaines, qu’autrement on n’aurait pas l’occasion d’entendre. First Ayom (photo) et ses musiciens venus d’Italie, de Grèce, d’Angola, du Brésil… tout cela donne une invitation très rock au voyage, parfois presque au Cap-Vert, portée par l’accordéon chromatique et les percussions. Plus exotique encore, QuinzeQuinze, un collectif franco-haïtien qui propose une fusion d’instruments traditionnels et de sons et d’identités générés par ordinateur difficiles à définir mais immergés dans un grand chaudron de textures aquatiques et hors du temps.
Jour 3. Samedi 9 décembre. 22h14, Tago Mago, la surprise bienvenue du début de soirée
Comme il était (presque) le seul nom que l’on connaisse de tous les artistes qui se sont produits durant ces trois jours, et que Guillaume Perret était programmé à 4h20 du matin, eh bien, on a essayé de tenir jusque-là… Malgré le mou à combler, d’autant moins qu’il nous a permis de découvrir Combo Chimbita (photo), un groupe que nous n’avions pas particulièrement remarqué, mais un super concert ! Le chanteur était incroyable et le mélange d’influences fidèles à l’héritage cumbia était aussi énergisant qu’intéressant. Après cette agréable surprise sur l’avant-dernier épisode, le set de Guillaume Perret, utilisant son saxophone aux effets XXL et le puissant batteur dans son nouveau projet, a clôturé comme prévu une soirée plutôt riche.
23h20, de Puuluup à Nze nze, comme ça vient
Le dernier soir, comme chaque année, nous cherchons une fessée qui vous sera donnée par le groupe. Pourtant, dans un festival aussi rare que Trans, où l’on ne sait presque rien de ce qui est programmé, on peut déchanter des gens en qui on a confiance et se laisser séduire par des formations qui ont laissé la tiédeur sur le papier. Et il a raison, c’est ce qui se passe depuis le début de soirée avec Grace Cummings – une belle voix et beaucoup de présence, mais elle en fait un peu trop et ça fait mal. En revanche, Tago Mago (photo) n’excitait pas plus les papilles que cela, et pourtant il revient du premier morceau. Totalement dans leur musique et leur joie de jouer, le duo développe un son et un thème large et profond sans être précieux ni facile, et on est (sur)tout à fait d’accord pour se laisser embarquer.
Certaines formations, même inconnues avant de venir à Rennes, suscitent immédiatement une certaine anticipation, surtout lorsqu’elles sont proposées par les développeurs. Alors, avec Puuluup, la sensation attendue, la claque sera-t-elle estonienne ? Les deux mecs sont sympathiques, originaux, leur kit est bien ficelé et plait mais pas.
Et là, on a encore un problème avec les choix des Transmusicales en matière de retour à la musique traditionnelle. On y avait déjà pensé l’année dernière avec l’accordéoniste finlandais Antti Paalanen, mais maintenant c’est devenu flagrant. Pour Krismenn, Superparquet ou Oki Dub Aino Band, combien de groupes plus anecdotiques, voire questionnants, garants d’un folklore, où l’attitude remplace l’intérêt pour la proposition musicale elle-même ?
00h36, des plumes, de la joie, du groove
Beaucoup plus stimulant est l’ensemble Nze Nze (photo), avec un industriel chamanique rauque et sec sous les aisselles, bien devant. Nous réalisons que cela fait des années que nous n’avons pas fait autant de raids intéressés sur la Greenroom…
01h22, bière, breizhiflette et calme relatif
Un grand moment de fête sur le mode festif et conscient avec le collectif 79rs Gang (photo), expression réconciliée de toutes les composantes culturelles riches de la Nouvelle-Orléans, représentée par la fière flamboyance des Black Indians et musicalement imprégnée d’influences coexistant avec bonheur : hip -hop, funk, musique afro-caribéenne… On sent à quel point transperce, sous le rythme de la danse, la réalité sociale, dure et complexe, et les identités complexes, que l’on touche avec plaisir ensemble ce soir.
02h07, Maloya expérimental mystique et soul africaine renversante
Dans le Hall 5 la foule très dense d’un samedi soir est perceptible mais mieux absorbée qu’autour des concerts, on peut trouver une table et des sièges si on regarde un peu autour de soi. L’offre de restauration n’a pas changé par rapport aux années précédentes : « bistrot éphémère » pour un vrai restaurant (rapport qualité prix env. satisfaisant (entre 7 et 9 euros pour des produits 100% bio) : « Breizhiflette », fish & chips, kari poulet, cocotte, beignets de légumes, kebab ou… huîtres, c’est vraiment facile de trouver une offre végétarienne à chaque fois, et il y a aussi le bar de la Brasserie Gallia, qui propose des bières artisanales bien meilleures que les classiques (par exemple, 4,50 € la IPA, qui a gardé nos faveurs. Vous pouvez même trouver du café, du thé et du riz au lait (!) pour vous garder sous tension jusqu’à l’aube.
Nous sommes ravis et intrigués par le groupe de Mouvman Ales (photo) venus de La Réunion partager leur vertigineuse abondance à base de maloya ouvert aux quatre vents. Un véritable OVNI non classé, imaginatif, coloré, ensoleillé, mystique. On déplore le public, qui n’est pas à la hauteur de la générosité du groupe. En général, même dans les moments d’enthousiasme, ces 3 jours on a reçu assez froid devant des artistes qui donnent quand même et pour qui c’est parfois un premier rendez-vous en France et même en Europe.
C’est aussi le cas avec ce deuxième beau concert ce samedi soir avec le groupe Nana Benz du Togo. Trois chanteurs et deux musiciens jouent d’instruments en plastique et métal recyclés, et quand ils chantent, ils ne font pas semblant ! Des voix soul et profondes qui n’ont rien à envier à leurs homologues américains. Et il creuse à mort, avec une instrumentation minimaliste et bricolée.
02:52, dernière onde sonore avec des sons
Côté concerts
N’étant pas un impératif constitutif de l’identité du festival, nous avons ressenti un déficit d’électrocution et d’énergie rock très frontale à l’approche de la fin de ce marathon musical. Une appréciation très personnelle mais qui a résonné à la dernière minute avec le concert des Sons (photo), le dernier set dans le hall 3 pour 2022. Les Belges ont tout de suite donné le ton, du gros son, beaucoup d’énergie punk rock, bien ficelé et pas trop standardisé compositions, … on voit même apparaître les premiers slams du festival dans le public, il était grand temps. Allez, c’est l’heure de donner une chance aux DJ ouïghours de None Sounds et à la transe rock psychédélique des Indonésiens d’Ali, on finit le voyage au bout de 4 heures. Une fois qu’on a fait le plein de belles choses, inutile de prolonger le gavage, autant rentrer heureux chez soi.
Fête de loin : le gang des 79rs, Nana Benz du Togo et Combo Chimbita, autant d’identités offertes avec ravissement
Immersion environnante : Agoria, Tago Mago et NzeNze, dans des ambiances très différentes
Incroyable : Mouvman Ale et Dalle Béton, ou deux façons d’être naturellement inclassable
Une présence rock féroce : Kid Kapichi and Sons, déclaration cohérente et présence scénique généreuse
Côté festival
Generosity Unleashed : Astereotypes, indéniablement le moment de concert le plus libre et le plus impliqué.
Nous avons aimé
Conclusion
– Des programmes variés et de qualité, intelligemment placés dans différentes étapes
– Système de navette toutes les 5 minutes depuis ou vers le centre-ville