« On travaille constamment en mode dégradé » : urgences, été stressant

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Se rendre spontanément aux urgences sera-t-il bientôt impossible ? Après Bordeaux, Cherbourg, Laval ou Orléans, c’est au tour des urgences du CHU de Grenoble de restreindre son activité nocturne, faute d’armes. Depuis le 27 juin, seules les urgences vitales et les patients préalablement « dépistés » jusqu’au 15 sont admis entre 20h et 8h. Les urgences pédiatriques, gynécologiques et obstétricales ne sont pas concernées, précise la direction.

Secouées par une grève ouvrière, les urgences des CHU de Rennes et de Toulouse renvoient aussi la population vers le Samu, les hôpitaux privés ou le médecin assistant. « Nous ne sommes pas non plus à l’abri de fermetures d’urgence ponctuelles à Strasbourg, prévient le docteur Sébastien Harscoat, médecin urgentiste au CHU. Pour l’instant, on se retient, mais on travaille continuellement en mode dégradé. Au moindre arrêt de travail, il y a un risque de désorganisation. »

Une situation inédite, selon Fabien Paris, membre du Collectif Inter-Urgences. « Déjà l’été dernier, certains services d’urgence avaient réduit leur activité, mais c’étaient des hôpitaux périphériques, pas de grands hôpitaux universitaires », s’inquiète cette infirmière de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique).

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22 millions de passages aux urgences en 2021

Cette opération restreinte, basée sur la régulation en amont des patients, pourrait-elle être généralisée au-delà de l’été ? L’idée, encore taboue il y a encore quelques mois, est aujourd’hui défendue par une grande partie du monde médical. Dans un communiqué publié lundi 27 juin, une vingtaine d’organisations représentatives des médecins libéraux et hospitaliers demandent la prolongation de cette solution.

Un changement de paradigme que doit aussi défendre le professeur François Braun, chargé par le gouvernement d’une « mission éclair » sur l’accès aux soins non programmés et dont les conclusions sont attendues mardi 28. « Les urgences ne peuvent plus être open bar », avait déjà lâché le président du syndicat Samu-Urgências de France, début juin, alors qu’au moins 120 services sont ou seront contraints de réduire l’accueil cet été.

Pour le Dr Philippe Revel, « il n’y a pas d’autre solution ». A la tête du service des urgences du CHU de Bordeaux, le médecin a déjà mis en place un système de filtrage par le numéro 15. « Vu les grandes difficultés que nous avons en termes de ressources humaines, tant médicales que paramédicales, il valait mieux plutôt que de continuer ainsi, au risque d’épuiser l’équipe, explique-t-il. Les autres moyens doivent être utilisés pour les patients qui en ont vraiment besoin. « Des volontaires de la sécurité civile sont toutefois placés devant l’hôpital », au cas où un patient apparaît dans l’aigu ».

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À Bordeaux, « on ne reviendra pas en arrière après l’été »

Selon lui, cette organisation, créée il y a un mois, donne satisfaction. « La réglementation a réduit l’activité de 25 à 30 %. Il n’y a plus de files d’attente impossibles, les conditions de travail des salariés se sont améliorées et, à ma connaissance, il n’y a pas eu de perte de chance pour les patients », résume le médecin, qui reconnaît : ce qui était initialement conçu comme un palliatif peut ou encore « Il s’avère que dans les situations de crise les idées surgissent. Si nous n’avons pas 30% de médecins en plus demain, nous ne reviendrons pas après l’été. »

De quoi faire bondir les interurgences du collectif, pour qui ce filtrage va à l’encontre des valeurs et de la mission du service public. « On culpabilise le patient de venir utiliser un service qui n’est plus en mesure de le recevoir », souffle Fabien Paris. La plupart du temps, c’est par défaut que les gens vont aux urgences, car ils n’ont pas la possibilité de voir un libéral. »

En France, 6 millions de personnes n’ont pas d’assistant médical, soit 11% de la population. « En Loire-Atlantique, il est très difficile de trouver des médecins généralistes pour orienter les patients. Parfois, je fais 40 appels infructueux. Et SOS Médecins tourne à plein régime. Qu’on le veuille ou non, le système de santé est tellement désorganisé que les urgences sont devenues des lieux de soins primaires. »

Un risque de pertes de chance

Le risque du filtrage ? Que les patients hésitent à consulter. « Nous avons trouvé un cancer de l’estomac dans le hoquet qui s’attarde un peu et des crises cardiaques derrière des douleurs thoraciques. Pour ne pas saturer les urgences, ces personnes vont se dire que cela finira par passer. Ces occasions manquées ne se verront pas nécessairement tout de suite, mais nous devrons surveiller cela au cours des mois et des années à venir. »

« On va compter les morts », lance sans ambages le Dr Sébastien Harscoat, qui l’assure : les difficultés du secteur ne sont pas liées au recours abusif aux urgences. « Le vrai problème, ce ne sont pas les gens qui attendent aux urgences alors qu’ils n’ont rien à faire là-bas. Le problème, ce sont ceux qui sont là pour une vraie raison et pour qui il n’y a pas de soutien, c’est-à-dire sans lit d’hôpital. »

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Un service limité mais pas de fermeture

Comme beaucoup, le médecin n’attend pas de « miracle » du rapport de François Braun. « C’est une erreur de croire qu’il suffit de passer l’été. La crise des urgences est un symptôme de la crise de tout l’hôpital, et ce n’est plus un constat qui va régler », s’agace-t-il.

« Cela peut sensibiliser et permettre d’harmoniser certaines pratiques au niveau national », nuance Caroline Brcalledd, responsable des urgences au centre hospitalier de Laval (Mayenne). Ici, le « tri » est une réalité depuis novembre. « Nous perdons les deux tiers du nombre cible de médecins urgentistes. Améliorer la réglementation, mieux payer les heures supplémentaires, appeler les médecins retraités, on a déjà fait tout ça », prévient le médecin, d’autant plus inquiet que les recommandations de François Braun risquent de mettre du temps à se concrétiser, auprès de la ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, au début après sa défaite aux élections législatives.

Pendant ce temps, les hôpitaux tentent de rassurer la population. « Les urgences réduisent leur activité, mais elles ne sont pas fermées, insiste le Dr Revel, à Bordeaux. Toute personne qui a vraiment besoin d’entrer entrera, sans limitation. Cela n’empêche pas les associations d’utilisateurs de s’inquiéter. « On croise les doigts pour qu’il n’y ait pas de drame cet été », assure Gérard Raymond, président de France Assos Santé. M. Braun a peut-être de bonnes idées, mais lui seul ne pourra pas réformer le système de santé, et c’est de cela qu’il s’agit. Ce projet prendra du temps. »

La hausse des passages aux urgences se poursuit

Selon la Drees, 629 établissements assurent les services d’urgence, la majorité (77 %) dans le secteur public.

A ses côtés, 100 Samu (services de soins médicaux d’urgence) et 387 Smur (structures mobiles d’urgence et de réanimation) assurent l’orientation, les soins préhospitaliers et le transport des patients.

22 millions de visites aux urgences ont été enregistrées en 2019, soit 54 % de plus qu’en 2002, mais la hausse tend à ralentir ces dernières années.

Les traumatismes et les problèmes somatiques (douleurs notamment) sont le premier motif de consultation.

Selon la Cour des comptes, la plupart des patients arrivent pendant les heures de travail et en début de soirée, avec des pics en milieu de matinée et entre 18h00 et 22h00.