Le 24 septembre 2022, des militants d’Attac ont bloqué le « Quai des milliardaires » dans le port d’Antibes, où sont amarrés les méga-yachts des ultra-riches. Pourquoi s’attaquer ainsi à ce type de bateaux de plaisance ?
Des navires hyper-polluants
Les mégayachts ne sont pas seulement l’expression de la fierté démesurée de leurs propriétaires et utilisateurs, ou de l’autoségrégation qu’ils cultivent le long des côtes méditerranéennes. Ces palaces flottants sont aussi de véritables machines polluantes. Sa consommation atteint facilement les 4 000 litres d’essence aux 100 kilomètres. C’est près de 600 fois plus que la consommation moyenne d’une voiture de tourisme à essence.
Par exemple, parmi les navires amarrés au « Dock des milliardaires » le 24 septembre 2022, l’Al Raya a produit environ 280 tonnes de CO2 et consommé 100 000 litres de carburant lors de sa dernière croisière entre le 27 août et le 8 août. C’est 28 ans d’émissions pour un Français moyen ! Autrefois, Al Raya appartenait sous un autre nom à un oligarque russe, elle appartient maintenant à une famille de Bahreïn.
En un mois seulement depuis fin août, les yachts de luxe qui ont transité par le Quai des milliardaires ont émis au total 4 600 tonnes de CO2, soit l’équivalent de la consommation annuelle de 460 Français. Comme le rapporte Reporterre, « Le Port Vauban d’Antibes est fier d’être le ‘premier port de plaisance de Méditerranée’. « Flame de la voile internationale », il dispose de 18 places pour les yachts jusqu’à 160 mètres ».
Les milliardaires français sont friands de ces engins polluants : le Symphony, le yacht de Bernard Arnault, a émis 123 tonnes de CO2 en une semaine en juillet 2022, soit l’équivalent de 12 ans d’émissions pour un Français moyen. Vincent Bolloré a son méga-yacht Paloma, sur lequel il a invité Nicolas Sarkozy après son élection en 2007. Pour Martin Bouygues, c’est Bâton Rouge. À plein régime, ses deux moteurs consomment la bagatelle de 935 litres de diesel par heure [1]. Soit l’émission de 2,5 tonnes de CO2 en une heure, soit l’équivalent de 3 mois d’empreinte carbone pour un Français.
Les symboles de l’impunité fiscale des milliardaires
Les mégayachts ont non seulement une empreinte carbone disproportionnée, mais sont enregistrés sous des pavillons de complaisance dans des paradis fiscaux et échappent ainsi aux impôts. On parle de pavillon de complaisance lorsque la propriété et le contrôle effectifs d’un navire se situent dans un pays autre que le pavillon sous lequel il est immatriculé.
Les données recueillies par @YachtCO2tracker confirment que de nombreux yachts amarrés dans le port d’Antibes sont enregistrés dans des paradis fiscaux. Les pavillons les plus représentés parmi les yachts ayant séjourné au « Billionaires’ Wharf » ces 30 derniers jours sont : Îles Caïmans (38 bateaux), Malte (15 bateaux), Îles Marshall : (6 bateaux), Île de Man (4 bateaux ) et les îles Cook (3 bateaux).
Pire encore, aucun des navires ayant séjourné au Quai des Milliardaires ces 30 derniers jours ne bat pavillon français. Quand on peut acheter des jouets pour plus de 100 millions d’euros, il serait logique de payer sa juste part d’impôts. En plus de ce type d’évasion fiscale, il existe d’autres pratiques utilisées pour éviter ou réduire tous les types de privilèges fiscaux. « Pour rendre la TVA moins pénible, vous pouvez, avec un montage bien rodé, affréter vous-même votre yacht ou le faire passer pour un bateau de croisière ou de commerce », précise Grégory Salle.
Immatriculer son yacht dans un paradis fiscal n’est pas seulement une technique d’évasion fiscale : cela permet aussi de contourner la législation du travail. Un armateur qui choisit un pavillon accommodant reconnu évite les limitations de la législation du travail à bord, qui n’auraient pas été les mêmes s’il avait immatriculé son navire dans un pays plus scrupuleux.
Le cadeau fiscal du gouvernement aux propriétaires de yachts
Le gouvernement n’a non seulement rien fait pour réglementer l’utilisation des superyachts, symbole de pratiques socialement et écologiquement néfastes, mais a offert, depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, un cadeau inédit à leurs propriétaires : la suppression de l’ISF. Comme le souligne Grégory Salle, auteur de Superyachts Luxe, calme et écocide : « Les superyachts sont à la pointe de l’abandon manifeste de la solidarité. » Depuis 2018, ils sont exclus du calcul de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) qui remplace l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
Sans aucun doute, une taxe supplémentaire sur les bateaux de plaisance a été votée pour compenser la suppression de l’ISF : ce sera un fiasco, avec des recettes bien en deçà des prévisions (à peine 288.000 euros en 2019 contre des recettes attendues de près de 10 millions d’euros). La raison ? Sans contrôle, ou presque : la taxe est basée sur le (proverbial) bon vouloir fiscal des propriétaires de yachts… – Les propriétaires de yachts sociaux !
Attac France, le 26 septembre 2022