LA CHRONIQUE. C’est à chaque fois dans un style pompeux, et au final plutôt creux, que le nom du vainqueur est annoncé. Annie Ernaux n’a pas échappé à la règle.
Cela fait plus d’une semaine que le prix Nobel de littérature a été décerné à Annie Ernaux, et la polémique, du moins en France, ne s’est pas apaisée. S’il n’avait été question que de littérature, ils seraient tous passés maintenant, mais Annie Ernaux est une artiste engagée : la polémique a donc été portée sur l’arène politique, où elle dure. La gauche, qui passe habituellement son temps à confondre politique et littérature, est heureuse de voir couronné un écrivain qu’elle considère comme grand, quelles que soient ses opinions. La droite, qui passe habituellement son temps à dire qu’il faut distinguer l’auteur de son œuvre, se trahit en dénonçant le prix Nobel d’Ernaux au nom de ses idées politiques.
Tout cela est très drôle, et il faut se féliciter que l’attribution d’un prix littéraire provoque une fois de plus un tel tollé. On peut aussi compter sur Annie Ernaux pour prolonger la polémique, car elle a promis pour le gala de tenir un discours « engagé ». De quoi faire saliver ses admirateurs et même ses détracteurs, certains qui attendent déjà de grandes phrases pour applaudir, d’autres stupides pour dénoncer.
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Ce qui me frappe dans ce Nobel, c’est surtout la justification donnée par l’académie suédoise. Annie Ernaux, voyez-vous, a été récompensée « pour le courage et l’acuité clinique avec lesquels elle met au jour les racines, les distances et les contraintes collectives de la mémoire personnelle ». Autant que je regarde cette phrase, je ne vois pas ce qu’elle signifie, ni à quel autre écrivain ces généralités pompeuses ne s’appliquent pas également.
Que de considérations enflées !
Je suis allé lire les communiqués de presse des années précédentes sur le site Nobel. J’ai appris que Louise Glück était couronnée pour « sa voix poétique caractéristique, qui, avec sa beauté austère, rend universelle l’existence individuelle » ; Herta Müller parce qu’elle a, « avec la densité de la poésie et la franchise de la prose, représenté l’univers des malheureux » ; Kazuo Ishiguro parce qu’il « a révélé l’abîme sous notre illusoire sentiment de confort dans le monde » et Mo Yan parce qu’il « a uni le conte, l’histoire et le contemporain » (sic).
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Toutes ces considérations exagérées ont la caractéristique d’être dénuées de sens, et d’être interchangeables. Je me demande si l’académie ne les écrit pas à l’avance. Chaque année, il puise dans son stock, et c’est amusant de voir que ça marche. Ce qui serait amusant, c’est qu’un jour elle mélange les pinceaux, et qu’elle applique au gagnant de l’année une formule déjà utilisée. Personne ne s’en apercevra !
Mais de toute façon, je ne veux pas me moquer du prestigieux cercle restreint de Stockholm, qui vient de redorer ses blasons après des années de scandale. J’observe seulement qu’il paraîtrait plus sérieux s’il laissait tomber ses oracles sans justification, et que ses tentatives pour expliquer ses raisons sont plus ridicules qu’éclairantes. Notre bon vieux Goncourt national, par comparaison, ne prend pas ce problème. Lorsqu’on lui demande pourquoi il est allé à X ou Y, il répond : parce qu’il a eu le plus de votes. C’est plus rustique, mais ça a le mérite d’être clair.
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Comment apprendre (ou réapprendre) à voir la vie en rose ? Comment trouvez-vous le plaisir de profiter du moment ? Comment ne pas interdire ? Souvent, on s’interdit de vivre aujourd’hui pour espérer un lendemain meilleur… D’où l’intérêt de lire les auteurs présentés dans ce numéro spécial.