Publié le 8 juillet 2022 à 06h00 Mis à jour le 8 juillet 2022 à 08h52
« Mon régime alcalin a changé ma vie. » Depuis qu’il a changé ses habitudes alimentaires il y a trois ans en réduisant drastiquement tous les aliments acidifiants comme les sucres transformés, les viandes grasses et les fromages, Fabrice a retrouvé la santé. « Avant, j’étais tout le temps malade », raconte ce responsable informatique de 56 ans, passionné d’ultra-trailer. « J’avais une trachéite et une angine de poitrine récurrentes et je prenais des antibiotiques tous les deux mois. Souffrant d’une hernie hiatale, on m’a prescrit des IPP (inhibiteurs de la pompe à protons). Après un gros repas, j’ai dû vomir. Et pour couronner le tout, j’étais sujette à l’insomnie. »
Un tableau très sombre qui appartient désormais au passé. Fabrice a arrêté tous les médicaments et ne s’est jamais senti mieux. Il s’est même endormi. Et tout cela uniquement grâce à la nouvelle hygiène alimentaire qui, sans éliminer les sources de protéines, fait la part belle aux aliments de base (alcalinisants), principalement les fruits, les légumes et les herbes. Presque trop beau pour y croire !
Sommaire
Retour au basique
Pourtant, de nombreux médecins et naturopathes qui suivent des approches moins conventionnelles préconisent un retour à une alimentation plus alcaline ou alcaline. Le but : rééquilibrer le pH (potentiel hydrogène) de notre corps qui, selon eux, serait trop acide. Cet indice, gradué de 0 à 14, permet d’estimer la concentration en ions hydrogène (H+) dans une solution aqueuse. L’équilibre correct des fluides corporels est d’environ 7. En dessous, il tend vers l’acidité, au-dessus vers l’alcalinité. La composition des aliments assimilés par l’organisme influe naturellement sur le pH.
Un autre indice appelé PRAL (Protein Renal Acid Load) permet de connaître la charge acide potentielle de chacun (voir encadré). « L’indice PRAL de l’alimentation ancestrale était de -88 en moyenne, alors que l’alimentation moderne atteint +48 », précise le docteur Philippe Veroli dans son livre « Potassium mode d’emploi » (Editions Thierry Souccar). Beaucoup plus acide.
Repérer ses excès
Comment composer des repas équilibrés du point de vue de l’équilibre acido-basique ? Utilisation de l’indice alimentaire PRAL (Potential Renal Acid Load) qui évalue leur effet acidifiant. Même s’il est loin d’être une référence absolue et comporte des défauts, cet outil développé en 1995 permet tout de même au débutant d’avoir quelques repères. Les fromages, la viande et le poisson sont plutôt acides, le parmesan (34,2) ou le camembert (14,8) étant le record. Le poulet (8,7) ou le bœuf (7,8) se classent également en bonne place. De l’autre côté de l’échelle, on retrouve les fruits et légumes à effet alcalinisant maximal pour les raisins secs (-21) et les épinards (-14). Entre les deux, les yaourts aux fruits (1,2) et le chocolat au lait (2,4) ne s’en sortent pas trop mal. Il est indicatif que ces traces ne doivent pas être utilisées pour éliminer des aliments, mais pour identifier d’éventuels excès. Le ratio correct serait de 35% d’aliments acides pour 65% de base.
Il est vrai que, comme l’explique Yann Rougier, autre médecin spécialiste de la nutrition, sur son site delta-medecine.org, « notre alimentation a plus changé en cinquante ans qu’en cinquante siècles ». Entre autres, notre organisme a dû s’adapter à l’explosion de la consommation de sucres rapides, qui acidifient l’organisme.
Addiction au sucre
« On mange 100 fois plus de saccharose qu’il y a un siècle », insiste aussi le Dr Michel Lallement, ancien chirurgien du cancer reconverti à une pratique thérapeutique plus préventive au sein de l’association Cesam (Centre Education Santé des Alpes-Maritimes). « L’industrie alimentaire a alimenté une véritable dépendance au sucre », dit-il. En fait, on le retrouve même là où on ne l’imaginerait pas, par exemple dans les plats cuisinés ou les pizzas.
Notre organisme a également dû apprendre à faire face à une augmentation tout aussi spectaculaire des apports en protéines animales très acidifiantes qui, malgré les évolutions de ces dernières années portées notamment par le flexitarisme, restent à un niveau très élevé. En augmentant la concentration de dioxyde de carbone dans notre corps, l’inactivité physique et le stress ont fait le reste. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec l’acidification des sols et des océans saturés en CO2 et autres polluants (voir l’encadré en fin d’article). L’hyperacidité des organismes est-elle une caractéristique de notre époque ? Mais surtout, est-ce grave, docteur ?
© Suzanne d’Hulst pour « Les Echos Week-End »
Comme c’est souvent le cas avec la nutrition, les avis divergent. Il suffit de voir le nombre de régimes aux principes parfois contradictoires qui fleurissent sur le marché comme de nombreuses chapelles concurrentes ! Pour les partisans de la réalcalinisation, la réponse est claire : oui. « Notre corps possède un mécanisme interne pour réguler la valeur du pH », explique Jean-Michel Lecerf, responsable de la nutrition à l’Institut Pasteur de Lille. L’excès d’acidité est évacué par les reins et la respiration. En même temps, notre corps peut utiliser ses réserves minérales de calcium, de magnésium et de potassium pour rétablir l’équilibre.
Inflammation insidieuse
Certes, mais pour le camp « pro-basique », tout cela ne serait pas neutre pour notre équilibre physiologique. « L’acidité est souvent latente, elle ne se manifeste pas immédiatement après le dépôt, elle est insidieuse et se développe longtemps avec un faible bruit, explique le Dr Hervé Grosgogeat, auteur du livre « La méthode acide-base » (Odile Jacob) sur son site internet. Viennent ensuite des signes cliniques assez fréquents et trompeurs : fatigue chronique, douleurs diffuses au niveau des articulations, des muscles et des tendons, anxiété accrue, crises de coliques néphrétiques, fonte musculaire. Autant de maladies qui peuvent ouvrir la voie à des pathologies plus graves. « Cette micro-inflammation est à l’origine de tous les troubles chroniques de notre organisme », assure le docteur Yann Rougier.
Malheureusement, cette acidose n’est quasiment jamais diagnostiquée par nos interlocuteurs privilégiés de santé, les médecins généralistes. Il est vrai que l’hyperacidité du corps n’est pas facile à déceler par des examens. Comme nous l’avons vu, sauf maladie métabolique, l’organisme parvient à compenser toute hyperacidité pour maintenir le pH du sang dans les ongles (entre 7,35 et 7,45). La mesure du pH urinaire peut fournir une indication utile. S’il est inférieur à 7, le corps essaie de se débarrasser de l’excès d’acidité. D’autre part, nous ne disposons pas d’instruments pour mesurer le pH du liquide cellulaire.
Bobos articulaires
La solution? Apprenez à vous écouter. Essayer de mieux comprendre l’origine de ses blessures, notamment sur ses articulations. Douleurs au dos, aux épaules, aux genoux… Qui n’a pas souffert de ces pathologies du quotidien pour lesquelles le seul traitement proposé par la médecine repose sur la prise d’anti-inflammatoires ? Une solution qui apaise en quelque sorte les symptômes sans s’attaquer à la cause.
Les ostéopathes sont potentiellement les premiers à remonter à la source du mal et à promouvoir des solutions plus douces. Ils doivent encore intégrer les compétences nutritionnelles. Comme Jean-Pierre Marguaritte, devenu naturopathe spécialisé en micronutrition. « Ma pratique a évolué après avoir pris conscience des limites de l’ostéopathie structurale classique, notamment dans les pathologies chroniques », explique-t-il. Aujourd’hui, il concentre son action sur la « libération » du couple foie-diaphragme. Et elle coordonne tous ses soins avec des conseils nutritionnels. « Le soulagement est facile, le plus compliqué est de convaincre vos patients de changer leur alimentation, généralement trop acide. Sinon, leur douleur est susceptible de continuer. Depuis, ce praticien, auteur du livre « Le mal de dos est sur un plateau » (Europromosteo), passe beaucoup de temps à expliquer ce qui se joue dans l’organisme en cas d’excès d’acidité.
Foie encrassé
Pour lui, le foie, organe de détoxification du sang chargé de stocker et de distribuer le sucre, est au cœur du mécanisme du trouble. « Face à un excès de glucides, le foie les transforme en graisse », explique-t-il. Un processus qui favorise la libération d’acides et se termine par le colmatage. Mais l’insuffisance hépatique aura, selon cet ostéopathe, des effets en cascade sur notre santé. Sa densité va en fait augmenter et ainsi stresser le diaphragme auquel il est attaché, l’empêchant, à son tour, de fonctionner correctement. La respiration va perdre en amplitude, limitant ainsi la bonne évacuation des acides volatils.
« Le diaphragme en tension provoque aussi une compression des grosses artères qui le traversent et distribuent le sang au cerveau et aux organes digestifs », poursuit ce thérapeute. Cela va augmenter la tension artérielle, réduire la vascularisation capillaire et, de facto, l’apport d’oxygène, et là encore la conséquence d’un excès d’acidité. « Un cercle vicieux, donc.
© Suzanne d’Hulst pour « Les Echos Week-End »
« Un foie bouché sécrète aussi une bile de moins bonne qualité, insuffisamment alcaline », ajoute Jean-Pierre Marguaritte. Mais celui-ci participe, avec le suc du pancréas, à neutraliser l’acidité de l’estomac. Normalement, le foie est également responsable de la synthèse du puissant antioxydant, le glutathion. En cas d’échec, les radicaux libres produits par l’organisme attaqueront comme la rouille la membrane capillaire qui permet aux nutriments de passer à la cellule. « Donc un effet domino très dommageable.
Le problème avec cet organe est qu’il est le seul dans le corps qui n’a pas de récepteurs de la douleur. « Quand ça casse, il n’y a pas d’avertissement », prévient Jean-Pierre Marguaritte. La situation peut donc s’aggraver sans qu’on s’en aperçoive ».
Microdiète de fruits et légumes
Mais arrêter les blocages avec une alimentation moins acide ne suffit pas. Lorsque vous avez un long passif, vous devez également passer par un nettoyage majeur. Ce thérapeute vous conseille une micro-régime de fruits et légumes sur 24 heures, tous les quinze jours ou tous les mois, selon votre condition. « Après 12 heures, les réserves de glucides du foie sont épuisées », explique-t-il. Cet organe commence alors à brûler les graisses accumulées et à se régénérer. »
Mais ce genre de régime strict n’est pas facile à mettre en place. « Les premiers mois, j’étais un peu perdu, avoue Fabris, qui a été soigné par Jean-Pierre Marguaritte. Puis mes goûts alimentaires ont changé. J’en ai marre du sucre aujourd’hui. « Cependant, ce grand athlète fait une pause le week-end lorsqu’il s’autorise à acidifier davantage sa nourriture. Mais il se rattrape avec un micro-régime lundi. En général, les adeptes du régime acido-basique n’interdisent aucun aliment. Ils privilégient généralement le rééquilibrage en privilégiant les aliments de base. Pas question de créer des frustrations.
Autre patiente de Jean-Pierre Marguaritte, Corinne, ancienne chef d’entreprise récemment retraitée, vient de se lancer dans ce nouveau régime. D’abord traitée pour des douleurs persistantes au genou, elle tente depuis plusieurs mois de réduire sa consommation de viande, de viennoiseries et de fromage. Mais sans éliminer complètement ces aliments. Il suit également un micro-régime périodique. « Je veux continuer parce que les résultats sont là », dit-elle. Ma jambe est beaucoup plus fluide et je ressens beaucoup moins de ballonnements dans le ventre lors de la digestion. Mais avant tout, j’aime prendre soin de mon corps. »
Même son de cloche pour Liliane qui a suivi les conseils nutritionnels de Michel Lallement. « Je suis heureux d’avoir repris le contrôle de ma santé. Cela m’a permis de réduire considérablement mes visites chez le médecin. Déjà adepte des protéines végétales, cette fillette de sept ans sujette aux troubles intestinaux ne s’autorise plus, comme le sucre, un peu de miel et de confiture « maison » le matin. Elle a réduit sa consommation de pâtes de blé et de fromage à une fois par semaine et a opté pour du pain d’épeautre. A-t-elle un risque de carence à son âge ? « Mon mari et moi faisons une prise de sang chaque année. Et ils sont toujours impeccables », dit-elle.
«Pas de lien formel»
Auteur du livre « Le plaisir de manger » aux éditions du Cerf, le docteur Jean-Michel Lecerf reste très réservé sur les méfaits de l’hyperacidité sur notre organisme. « Nous savons maintenant que notre alimentation peut favoriser l’inflammation des tissus, mais les études scientifiques n’ont pas encore établi de lien formel avec l’acidité alimentaire », précise-t-il. Je fais attention aux régimes trop radicaux qui conduisent souvent à des déséquilibres. Le problème n’est pas dans la nourriture elle-même, mais dans la consommation excessive. Les « pro-basics » pourraient objecter que pour les sucres, notamment, la tasse est plus que pleine. Pourtant, cet endocrinologue et nutritionniste, comme eux, prône une augmentation de la consommation de fruits et légumes, qui, malgré les messages promotionnels, reste encore insuffisante en France. « Riches en potassium qui protège contre l’hypertension artérielle, en polyphénols antioxydants et en fibres, elles sont nécessaires à notre bon fonctionnement. »
Cependant, une alimentation plus équilibrée ne suffit pas à elle seule à agir contre l’hyperacidité des tissus. La sédentarité, autre « maladie » de l’époque moderne, acidifie également l’organisme car elle ne favorise pas l’évacuation du gaz carbonique, source d’acidité, par la respiration. Idem pour le stress. « Même avec une alimentation parfaite, les personnes en situation de stress chronique souffrent d’hyperacidité car leur respiration reste trop superficielle », souligne Michel Lallement. Cela explique pourquoi la plupart des soignants qui s’intéressent à l’équilibre acido-basique ne sont pas à l’aise avec les conseils diététiques de détoxification. Ils prônent un mode de vie qui inclut le sport, la détente et surtout la gestion des émotions.
Prévenir la dépression
En effet, pour Jean-Pierre Marguaritte, en agissant sur la vascularisation du cerveau, le couple foie-diaphragme agit aussi sur le moral. Il est désormais admis que l’inflammation périphérique de l’organisme est responsable d’un tiers des cas de dépression. Notamment ceux qui résistent au traitement par antidépresseurs et qui ont un tableau clinique plus axé sur la perte d’intérêt et la fatigue généralisée. « Des études ont montré que les protéines pro-inflammatoires agissent sur la sécrétion de neurotransmetteurs comme la sérotonine et plus généralement sur les mécanismes qui régulent les processus cognitifs et émotionnels », explique Bruno Aouizerate, psychiatre au CHS Charles Perrens à Bordeaux. Dès lors, des voies d’étude de l’influence d’un régime anti-inflammatoire pour le traitement ou la prévention de ce type de troubles s’ouvrent. Et si la restauration d’un bon pH jouait aussi un rôle ?
Océans et sols en danger
D’autres écosystèmes vivants tels que les océans et les sols subissent le processus d’acidification. Nos vastes étendues de mer absorbent à elles seules plus du quart de la quantité de dioxyde de carbone émise par les activités humaines. Cela affecte leur pH. Entre 1750 et 2015, l’acidité des océans a augmenté de 26 %. Les sols sont principalement affectés par les pluies acides chargées en dioxyde de soufre et en oxydes d’azote. Même si toutes les conséquences n’ont pas encore été étudiées, on sait déjà que l’impact est négatif pour des espèces comme les mollusques (huîtres, moules) ou les coraux, qui ont besoin d’éléments minéraux. L’acidification aurait également des effets neurologiques sur les poissons, qui perdraient en partie leur sensibilité aux prédateurs. Il dégrade également la structure du sol et favorise le dépérissement des forêts. Bref, rien d’encourageant.