Une enquête. Vignette ZFE et Crit’air : interdire les véhicules polluants, pourquoi ça colle ?

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Fini la voiture polluante. Du moins dans les grandes villes. La conséquence de quoi ? Les zones à faibles émissions, dites ZFE. À partir de 2024, ils interdiront l’entrée des véhicules les plus polluants dans les grandes villes. Pour les déterminer, un classement Crit’air a été créé symbolisé par un autocollant sur le pare-brise. Sans attendre cette date, dès septembre 2022, plusieurs villes ont commencé à l’installer. Un article hautement inflammable. Le gouvernement l’a compris et a décidé de faire bouger les lignes.

La loi mobilité, dite loi « Lom », de décembre 2019, afin d’améliorer la qualité de l’air, a rendu obligatoire l’implantation de cette ZFE dans 11 agglomérations. Un an et demi plus tard, la loi « climat et résilience » en rajoute une couche en étendant le dispositif à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants.

A terme, en 2025, 45 villes et communes seront concernées, soit 44 % de la population française. La ville de Paris va plus loin en voulant interdire tous les véhicules diesel dans ses murs à partir de 2024. Petit à petit, des radars spécifiques ZFE font leur apparition pour pénaliser les engins les plus polluants.

Sommaire

« Une grogne légitime »

Tous les scientifiques et ONG sont unanimes pour dire que ces zones sont une nécessité, mais elles pénalisent les propriétaires des véhicules les plus précaires et ont un impact « sur l’accès aux activités quotidiennes et sur les droits des personnes, ce qui pose des questions d’acceptabilité et de justice sociale ». , rappelle les deux députés à l’origine d’une mission flash sur le sujet, Gérard Leseul (PS) et Bruno Millienne (Modem).

« C’est un sujet très sensible. Nous ne devons exclure personne de répondre à cette plainte légitime », a déclaré le député Leseul lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale, mercredi 12 octobre.

Or, aujourd’hui, la vignette Crit’air exclut des villes les véhicules les plus polluants, mais pas ceux qui consomment le plus de carburant. Ainsi, une petite citadine datant de 2005 sera exclue, là où une grande berline, plus lourde, mais neuve, avec un classement de niveau 1, sera acceptée.« En termes d’émissions polluantes, ça tient. En revanche, du point de vue de la protection du climat, la consommation de carburant est directement liée aux émissions de CO2, ça ne tient plus », explique Pierre-Louis Geffray, ingénieur, membre du collectif Pour un think tank « Iddri », qui travaille sur cette nouvelle.

En France, 40 % du parc automobile est classé Crit’air 3 ou plus. Selon une étude de l’INSEE, 38% des ménages les plus pauvres disposent d’un véhicule classé Crit’air 4 ou 5 (10% chez les ménages les plus aisés).

Selon une étude OpinionWay pour Aramisauto, datée du 10 octobre 2022, 42% des sondés déclarent continuer à utiliser leur voiture malgré l’interdiction.

« La charrue avant les pneus »

Pour exiger la suspension des ZFE, l’association des 40 millions d’automobilistes et la Fédération de la distribution automobile (Feda) ont enclenché « la grande boucle des exclus ». Après Reims (Marne), les représentants de ces deux lobbies pro-voitures étaient à Rouen (Seine-Maritime), le 21 octobre. Avec l’aide de la députée du Rassemblement national de la Marne, Anne-Sophie Frigout, ils sont à l’origine d’un projet de loi visant à supprimer ces zones.

Tant que ce n’était qu’à Paris, il n’y a pas eu de soulèvement de la France régionale. Puis deux villes emblématiques ont fait passer la voiture avant les pneus : Rouen et Reims.

Ces deux villes font partie des dix métropoles qui, en septembre 2022, ont entamé la mise en place progressive de ces zones. 40 millions d’automobilistes réclament un moratoire, avec une nouvelle échéance fixée à 2030. « Et surtout qu’en attendant il y a une vraie politique de l’Etat pour le renouvellement du parc automobile », précise Philippe Nozière, président de cette association.

« L’intention est bonne ; personne ne veut plus de pollution dans nos villes. Mais que l’intention soit bonne ne signifie pas que la mesure est correcte. Oui, il y a urgence, mais c’est parce qu’on est pressé qu’il faut ralentir, sinon on se heurte à un mur », insiste Pierre Chasseray.

L’échéance de 2025 est « extrêmement brutale », selon le juge Mathieu Séguran, directeur général de la Fédération de la distribution automobile (Feda). Pour lui, il y a un manque d’infrastructures pour accompagner le développement de l’électricité : « Le président de la République a pointé 100 000 bornes électriques d’ici fin 2021. Nous sommes à 63 000 et toutes ne fonctionnent pas. »

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Et la voiture électrique ne convient pas à tout le monde, argumente Pierre Chasseray : « 33 % des Français ne disposent pas d’une place de parking ou d’une place de parking pour recharger leur véhicule. Nous encourageons donc toutes ces personnes à avoir une voiture électrique sans qu’il leur soit possible d’en avoir une. »

Avec les radars ZFE annoncés, nous aurons à nouveau les Bonnets rouges, qui protestaient contre les barrières de l’écotaxe. Est-ce destiné à provoquer de nouveaux soulèvements ?

Un Cadot en Île-de-France

L’ancien député de droite et actuel maire de Vélizy-Villacoublay (Yvelines), Pascal Thévenot, a très vite fait part de son mécontentement. Et l’édile a reçu un doux cadeau du préfet de Région de l’époque, Michel… Cadot : que les communes de part et d’autre de l’A86, aussi appelée « super périphérique parisien », puissent choisir de rester ou non dans la ZFE. Pour Vélizy, ce sera non.

Si nous y étions restés, cela signifiait que les habitants de Vélizy qui travaillaient dans la zone ZFE ne pouvaient plus y entrer ni en sortir, mais en revanche ils pouvaient bénéficier de la pollution générée par l’A86. L’A86 qui, par ailleurs, n’est pas incluse dans la ZFE. S’il s’agissait vraiment d’une mesure anti-pollution, l’A86 aurait été incluse dans le périmètre.

Vélizy-Villacoublay, 22 000 habitants, est à la frontière de l’Essonne et des Hauts-de-Seine. Etant située en bordure de l’A86, cette ville concentre de nombreuses entreprises, notamment des constructeurs automobiles comme Audi ou Porsche, mais aussi Bouygues, Safran, Thalès. Il abrite également l’un des plus grands centres commerciaux de France. Ce qui est aussi remarquable dans cette ville, c’est qu’il y a plus de salariés travaillant à Vélizy que d’habitants. Toutes ces particularités sont utilisées par le maire pour expliquer sa volonté de se retirer de la ZFE du Grand Paris.

« On a suivi ça métropole par métropole »

Autre lobby automobile qui a très vite obtenu satisfaction : la Fédération française des véhicules d’époque. Le gouvernement a écouté leur torture et a ordonné aux Métropoles de délivrer des dérogations.

« Le Premier ministre, Jean Castex, nous a envoyé une lettre très claire allant dans notre sens », se souvient Jean-Louis Blanc, président de cette fédération. Mais le gouvernement n’a pas eu la possibilité d’imposer ces dérogations, car chaque métropole est libre dans l’application de la ZFE. Ainsi, la Fédération française des véhicules anciens a mené et mène un important travail de lobbying.

Nous suivons cette métropole par métropole. Nous étions présents au niveau des services qui préparent les délibérations et nous avons dû convaincre les élus de chaque métropole.

Et les exemptions qui rendent le système « illisible », comme l’a dit la mission éclair parlementaire, sont nombreuses. Parmi elles, celles qui concernent aussi le secteur solidaire.

Dans les Yvelines, comme ailleurs, diverses associations sont intervenues en 2019 pour obtenir ces mesures de contournement de la loi. La Banque Alimentaire, Emmaüs, mais aussi AMD Yvelines, qui travaille avec les plus démunis en proposant des repas et de la nourriture. « Nous l’avons eu deux ans plus tard ! Les associations n’ont pas les moyens de changer leurs camions », insiste Philippe Domergue, secrétaire général, en nous montrant son fourgon Crit’air 4.

Un véhicule comme celui-ci, l’association en compte six. Lorsque les Crit’air 3 et suivants seront interdits dans la ZFE du Grand Paris (1er juillet 2023), AMD a prévu le dispositif suivant : « Dans chaque véhicule, il y aura une attestation du Maire de Versailles expliquant que nous sommes une association caritative, l’arrêté municipal qui établit l’exception pour nos véhicules et, enfin, un document qui établit que le camion appartient bien à l’association. »

Là où elle est implantée, l’AMD n’est pas concernée par la ZFE du Grand Paris, « mais il peut arriver que nous fassions des livraisons ou ramassions des produits sur le territoire », précise Philippe Domergue.

« Créer un désir de ZFE »

Pourtant, ardent défenseur des ZFE, Pierre-Louis Geffray du collectif Pour un Réveil écologique est bien obligé de reconnaître que tout cela « ne ressemble plus à grand-chose, avec des dérogations dans tous les sens, des calendriers séparés pour les professionnels et les particuliers ». « Dans la même zone de vie que Lyon, Saint-Étienne et Grenoble, les critères d’entrée sont différents, le calendrier de réalisation est différent, ça devient grotesque », s’indigne le parlementaire moderne Bruno Millienne. Sans compter que certaines rues d’une même commune de la ZFE ne sont pas concernées par cette interdiction.

L’objectif à atteindre est le moins d’émissions possible et en même temps l’acceptabilité, y compris le souhait de ZFE. On ne peut pas faire reposer la lutte contre le réchauffement climatique uniquement sur les propriétaires de vieilles 306.

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Pour éventuellement créer cette « envie », Pierre-Louis Geffray sait qu’« il y a un grand besoin de concertation » : « C’était impératif pour la mise en place et ça ne s’est pas bien fait. On a raté quelque chose. »

Des dizaines de milliers de morts

Cette disposition a été imaginée, car au niveau sanitaire il y a urgence. « La pollution est le premier déterminant de la mortalité dans le monde, devant le tabac, l’alcool et les virus les plus répandus, comme le sida », rappelle Robert Barouki, professeur à la faculté de médecine de Paris et directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la santé. Recherche médicale (Inserm).

Une étude publiée dans l’European Journal of Cardiology estime que 67 000 décès en France pourraient être attribués à la pollution de l’air chaque année. Une étude de Harvard de 2021 parle de 97 000 décès.

Nous savons que si nous réduisons le niveau de pollution, il y a des résultats incroyables dans l’amélioration de la mortalité.

Au Japon, la ville de Tokyo a interdit le diesel en 2000. Des comparaisons sur la santé humaine ont été faites avec la ville d’Osaka. En sept ans, la mortalité mondiale a diminué de 6 % dans la capitale japonaise. La mortalité pulmonaire a chuté de 22 %, moins 11 % pour les maladies cardiovasculaires. « Des chiffres incroyables, ne réduisant les particules fines que de 44% », déclare Pierre Souvet, cardiologue et président de l’association Santé Environnement France, qui considère les ZFE nécessaires, mais a un bémol : « Il faut une vision globale, pas au pied de la rue ou niveau de la commune, car si vous dénoncez une pollution dans la commune ou dans le quartier d’à côté, vous n’aurez pas fait grand-chose. »

La France a été condamnée par le Conseil d’État, le 16 octobre 2022, à payer une astreinte économique de plusieurs millions d’euros, car les seuils limites de pollution de l’air au dioxyde d’azote ont de nouveau été dépassés dans plusieurs villes : Paris, Lyon et Marseille.

Une « refonte totale du système des vignettes Crit’air »

Pour faire face à ces incohérences et inégalités manifestes, les deux eurodéputés Leseul et Millienne recommandent de poursuivre cette politique de lutte contre la pollution de l’air, en prenant davantage en compte les plus démunis et en clarifiant les entreprises.

Les deux parlementaires préconisent notamment une « révision totale du système actuel de vignette Crit’air, intégrant les critères de poids, de consommation et d’entretien du véhicule ». Pour Pierre-Louis Geffray, du groupe de réflexion « Iddri », « il serait logique de remettre en cause les termes de la mission, mais à ce moment-là la vignette ne devrait plus s’appeler Crit’air, car ce n’est plus une pollution de l’air ». . » problème, cela devient un problème climat/air.

Ils proposent également de mettre en place un « sentier de transition » d’un « pass EPZ » en prenant l’exemple de ce qui se fait à Strasbourg (Bas-Rhin). Ce « pass » permettrait des déplacements indispensables, comme l’accès aux soins par exemple, dans le périmètre des ZFE », indiquent les députés.

Les ministres de la Transition écologique et des Transports, Christophe Béchu et Clément Beaune, ont reçu les maires des villes de plus de 150 000 habitants et les présidents des intercommunalités intéressées, le mardi 25 octobre 2022, « pour élaborer un travail sur la acceptabilité sociale ». Christophe Béchu a annoncé le lancement d’un groupe de travail « dédié à l’harmonisation des règles des ZFE », même si « la main est aux collectivités locales ».

En amont de la rencontre, le ministre Béchu avait reçu, le 18 octobre, le député Millienne qui assure que le gouvernement rabrouera certaines recommandations de rapport, sans toutefois répondre à la demande de 40 millions d’automobilistes : « Il n’est pas question de repousser les échéances. Le but est d’assurer la transition le plus rapidement possible et il n’est pas trop tard pour faire des ajustements. »

Enquête réalisée par Florie Cédolin (78actu) et Raphaël Tual.

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